Introduction
Les résultats du 1er tour des élections présidentielles du 26 Février 2012 ont mis en ballottage le Président sortant, Abdoulaye Wade, qui a su, malgré une lutte acharnée des forces vives de la Nation, imposer sa candidature inconstitutionnelle, du fait de la complicité manifeste du Conseil Constitutionnel.
Avec 34,8% du suffrage exprimé, Wade a subi un rejet populaire massif de sa volonté d’imposer, à travers les urnes, un troisième mandat dont il n’a aucunement droit.
La déroute de son projet de coup de force électoral, ne lui a pas suffi pour en tirer les conséquences logiques de son départ définitif de la compétition électorale, en se conformant, même tardivement et contraint, à la Constitution et à la volonté du peuple qui, toutes deux, lui ont refusé le droit de briguer un 3ème mandat.
C’est ainsi, qu’après avoir vainement tenté de renverser les résultats en sa faveur en présentant des amendements au Conseil Constitutionnel, il s’est résolu à aller au second tour, le 25 Mars, pour affronter Macky Sall qui est arrivé second à l’issue du 1er tour.
Quel est l’état réel des forces en présence ?
Le Président sortant, Abdoulaye Wade, n’a dépassé le score de 50% du suffrage exprimé que dans 11 Départements électoraux en zone rurale , dont des zones de guerre (Casamance naturelle), ou d’accès difficile ( région de Tamba et de Kédougou) sur les 45 que compte le Sénégal, tout en perdant les zones urbaines qui concentrent l’essentiel de l’électorat.
Les gros électeurs que l’on trouve dans l’aristocratie religieuse et coutumière, et chez les entrepreneurs qu’il a fabriqués de toute pièce à travers les marchés publics et la spéculation foncière et immobilière, et les dignitaires de son régime ( Députés, Maires, Ministres, Sénateurs, Conseillers spéciaux, DG, PCA, PDG) n’ont pas pu mettre en œuvre la machine de fraude électorale qui repose essentiellement sur un fichier électoral sur mesure, le déploiement d’instituteurs de la « Génération du concret », nommés sous Préfets, et sur des chefs de villages rémunérés et dotés de véhicules.
Malgré ce dispositif de fraude qui a mis en branle une vaste opération d’achat de conscience et de rétention de cartes d’électeurs, les forces vives de la Nation, opposées à sa candidature inconstitutionnelle, même dispersées dans plusieurs coalitions et candidatures indépendantes, ont su minimiser l’impact de la fraude électorale programmée, pour engranger plus de 65% des suffrages exprimés, et imposer un second tour à Wade.
La dynamique unitaire de contestation de sa candidature pour un 3ème mandat, organisée par le M23, a pu développer une synergie des forces et une levée de masse, en mesure d’assurer le maximum de transparence du scrutin et de sécuriser le vote, sous une forte surveillance africaine et internationale.
De même, l’absence de consignes de vote (Ndiguel) de la part des grands dignitaires religieux, et l’inquiétude grandissante de plusieurs responsables du PDS, de plus en plus conscients, durant la campagne électorale, du projet de Wade de dévolution monarchique du pouvoir après sa réélection, ont grandement contribué à gripper sa machine de fraude, dans un contexte de crise économique et sociale exacerbée par une vie chère, ponctuée par des grèves en milieu scolaire et universitaire qui font craindre une « année blanche » dans l’Education Nationale, au moment où, pour les besoins d’achat de soutiens électoraux, le pouvoir gaspille sans compter le peu d’argent de l’Etat qui aurait pu atténuer cette crise qui menace la stabilité du pays.
L’échec du projet de réélection de Wade, dés le 1er tour, a traumatisé le camp présidentiel, tout en mettant, dans l’euphorie, le camp du refus de sa candidature, conforté par le rejet des recours de Wade auprès du Conseil Constitutionnel pour inverser les résultats issus des urnes.
C’est donc cette atmosphère dans les deux camps qui a configuré le rapport de force entre les candidats en lice pour le second tour.
Quel est le rapport de forces entre les candidats en lice ?
Dans le camp du Président sortant, le discrédit et la déstabilisation se sont accentués par rapport au premier tour.
En effet, Wade n’a pas encore réussi à obtenir les consignes de vote escomptées pour fonder une victoire issue d’un holdup électoral. Pis encore, il s’est ouvertement lié, par la corruption, à des forces marginales, issues du « Muridism », qui sont réputées par les violences qu’elles exercent impunément sur les populations au nom de leur guide, et qui sont , maintenant, l’objet d’un rejet de plus en plus massif de cette communauté religieuse, y compris chez ses dignitaires les plus prestigieux.
De même, par rapport aux résultats du 1er tour, Wade est entrain de commettre les mêmes erreurs stratégiques que Diouf en 2000.
En effet, il a appelé, pour gérer sa campagne au second tour, des « transhumants » rejetés par le PDS et méprisés par l’opinion, pour leur flagornerie et leur esprit de lucre, au détriment des cadres reconnus par les militants de cette formation politique, comme le fit Diouf, en appelant DJIBO KA à ses côtés, pour affronter Wade au second tour en 2000.
L’hémorragie du camp de Wade a ainsi repris de plus belle, alors qu’il était parvenu à la stopper en direction du 1er tour, après la validation de sa candidature par le Conseil Constitutionnel.
En outre, il a étalé toute son impuissance à faire face à la crise scolaire et universitaire, et a échoué, devant les importateurs de riz, à faire baisser le prix de cette denrée de base, à cause de ses promesses non tenues depuis 2008, de rembourser l’avance qu’ils avaient consentie sur la subvention de son prix, et qui les a fait courir, jusque là, derrière des arriérés de payement par l’Etat de plus d’un milliard de Francs CFA, au moment où Wade dépense des milliards pour avoir des consignes de vote.
Et comme à la veille du 1er tour, la violence a repris en Casamance, avec une nouvelle attaque d’une brigade de Gendarmerie.
Du côté du camp du refus de la candidature de Wade à un troisième mandat, le candidat au second tour, Macky Sall, est parvenu à regrouper autour de lui tous les candidats de l’opposition dépositaires des 65% du suffrage exprimé au 1er tour.
Mieux, il a su ancrer sa candidature, au second tour, dans le peuple des Assises nationales, en prenant l’engagement public de mettre ses conclusions en œuvre, et en décidant d’institutionnaliser la direction des Assises nationales, pour en faire un organe de veille et de contrôle de mise en œuvre des conclusions.
De cette manière, Macky devient le candidat des Assises nationales, porteur de ses conclusions, et non plus un candidat perçu, au premier tour, comme un candidat porteur de programme libéral qui veut faire du « Wadisme sans Wade ».
Ce rassemblement autour des conclusions des Assises nationales vient de recevoir une adhésion de taille, en la personne de Jacques Diouf, ancien DG de la FAO.
C’est cette nouvelle perception de la candidature de Macky au second tour, qui lui a valu le soutien unanime du M23, et lui a permis de mettre en place une nouvelle coalition, « Benno Bokk Yakaar », autour des conclusions des Assises nationales.
De cette manière, les craintes émises ça et là par des forces de gauche, et /ou de la société civile par rapport au respect des engagements auxquels il vient de souscrire, ne se justifient plus.
En effet, en la matière, le problème est moins l’attitude de Macky après la victoire, que celui de ses partenaires de « Benno Bokk Yakaar », comme l’expérience nous y a édifié avec Wade en 2000.
Nous savions que Wade était soutenu par des forces réactionnaires de la Droite Française, dont Alain Madelin de façon publique. Nous savions aussi qu’il est franc-maçon, avec à la clef des suspicions de « sang dans ses mains ». Mais cela ne nous avait pas empêché de lui proposer, en tant que Pôle de Gauche, un programme de restauration de la Démocratie et de l’Etat de Droit dans le cadre de la CA 2000, au premier tour des élections. Ce programme fut réaménagé avec l’insertion du programme du CODE 2000 de Niasse, au second tour, pour le porter au pouvoir dans le cadre d’une coalition plus large, le « FAL 2000 ».
Mais dès l’accès au pouvoir de Wade, la plupart de ses partenaires dans la coalition se sont plutôt souciés des postes qu’ils voulaient occuper au sein du nouveau pouvoir, que de veiller au respect des engagements auxquels il avait souscrits.
C’est ce comportement, devant l’attitude de collaboration du PS et non d’opposition au sein du Parlement où il détenait une majorité qualifiée, qui a permis à Wade de ne pas tenir ses engagements, et d’édifier peu à peu un régime despotique, dont il est question aujourd’hui de se débarrasser.
Donc, si les partenaires de la coalition « Benno Bokk Yakaar », qui sont pratiquement les mêmes qu’en 2000 avec Wade, reprennent ce même comportement, les engagements de Macky ne seront pas respectés à cause de la nature du pouvoir présidentiel dont il a hérité, même avec l’institutionnalisation de la Direction des Assises nationales en organe de veille de suivi et de leur application.
Donc le problème n’est pas Macky, mais bien la capacité de ses partenaires de la coalition à surmonter leurs intérêts personnels et/ou partisans, pour mettre en avant les intérêts supérieurs de la Nation codifiés dans les conclusions des Assises nationales.
Ainsi la dynamique de synergie des forces opposées à un 3ème mandat de Wade ne devrait rencontrer aucun obstacle pour se renforcer, en maintenant intacte sa capacité à mobiliser l’électorat pour aller voter massivement, à empêcher la fraude le jour du scrutin, et à sécuriser le vote.
Quelle évolution de ces rapports de forces durant la Campagne ?
Les premiers discours des candidats, dés le démarrage de la campagne électorale au second tour, donnent déjà des indications d’évolution.
En effet, le camp de Wade continue à chercher désespérément des consignes de vote chez les plus grands dignitaires des confréries musulmanes, dans le but évident de couvrir un recours ultime à sa machine de fraude non encore mise hors d’état de nuire.
Ainsi, le manque de fiabilité du fichier, attesté par la découverte de la Mission d’observation de l’Union Européenne, de plus de 130.000 morts dans le fichier électoral, et par la présence de plusieurs doublons dûment constatés lors du scrutin du 26 Février, n’a pas été réglé avant d’aller au second tour.
Le recours à des nervis pour créer la terreur pour permettre le transfert massif d’électeurs ne se limite plus aux « écuries de lutte », mais il est directement pris en charge, de façon publique, par des éléments marginaux, réputés violents, issus des milieux du « Muridism » autour de leur guide.
Les tentatives d’achat des consciences et de rétention des cartes ont repris de plus belle.
Cependant, Wade aura du mal à freiner les départs de son camp, et à remobiliser ses troupes à cause des « transhumants » en charge de sa campagne, et de la persistance de la défiance, dans les rangs du PDS, envers son projet de transmission dynastique du pouvoir.
Cette défiance est accentuée par ses propositions d’écourter son mandat à trois ans, que des responsables du PDS jugent largement suffisants, pour donner le Parti à son fils, et pour écarter, par des mesures judiciaires arbitraires, tous ceux qui, au PDS ou dans l’opposition, sont soupçonnés de pouvoir constituer une gêne pour le succès de ce projet.
Ces propositions sont aussi faites pour déstabiliser le camp du refus, en faisant miroiter une possibilité de nouvelles élections présidentielles dans trois ans, sans la participation de Wade, alors qu’avec Macky, l’espoir d’une nouvelle compétition est dans cinq ans !
En faisant cette proposition en direction du camp du refus, Wade semble oublier qu’en 2000, il avait promis d’écourter le mandat de sept ans à cinq, et une fois au pouvoir, il s’est dédit pour faire un mandat de sept ans. D’ailleurs n’est ce pas lui qui dit que ses promesses n’engagent que ceux qui y croient ?
L’engouement général des candidats du refus autour de Macky, malgré cette promesse, démontre à suffisance le peu de crédit qu’ils ont réservé à cette offre.
Ce camp est en train de s’ancrer dans les organisations professionnelles qui ont participé aux Assises nationales, et qui sont, pour cela, objet d’ostracisme de la part du pouvoir.
C’est ainsi que l’UNACOIS a rencontré le Candidat Macky Sall, qui devrait aussi entreprendre des initiatives envers le CNCR et les Centrales syndicales (CNTS, CSA, UNSAS, CGTS, UDTS) qui se reconnaissent dans les conclusions des Assises nationales, pour les mobiliser dans les rangs de la nouvelle coalition « Benno Bok Yakaar ».
La neutralité électorale légendaire de ces organisations devrait céder le pas à leur devoir de défendre les conclusions des Assises nationales qu’elles ont contribué à élaborer, et à leur droit légitime de participation à l’organe de veille sur leur mise en oeuvre.
Le mécontentement populaire, les frustrations des principaux entrepreneurs sénégalais qui sont l’objet de discrimination et d’ostracisme du pouvoir, l’abandon du monde rural, par le pouvoir, aux affres de la famine qui menace, la perte de tout crédit des promesses de Wade, qui le disqualifie comme interlocuteur fiable, face aux attentes des Sénégalais, le peu d’attrait de ses discours sur ses réalisations et sur son souhait d’avoir du temps pour terminer ses chantiers, constituent un champ favorable au renforcement de la nouvelle coalition, autour des conclusions des Assises nationales, pour porter au pouvoir, notre candidat commun Macky Sall, le 25 Mars.
Par contre, le discrédit et la déstabilisation semblent être la perspective la plus probable qui se dessine pour le camp de Wade. Et cela risque d’être accompagné de violence inouïe sur les populations, voire de tentatives graves d’agression contre le candidat de « Benno Bok Yakaar » et ses principaux partenaires.
En ces circonstances historiques que vit notre peuple, les traditions républicaines de nos forces Armées et de sécurité, et leur professionnalisme, tant sollicités en Afrique et dans le monde, sont mis rudement à l’épreuve.
Ainsi, leur comportement durant la campagne électorale pour assurer la sécurité des citoyens et de notre candidat, pour protéger le vote, et défendre le suffrage du peuple, sera l’objet d’une grande observation africaine et internationale.
A la fin de la campagne électorale, l’opinion pourra mieux être édifiée sur ce que sera le jour du scrutin.
Fait à Dakar, le 11 Mars 2012
Ibrahima Sène,
Membre coalition « Benno Bok Yakaar ».