L’étape ultime du processus électoral des locales de Juin 2014 doit être consacrée à une évaluation rigoureuse des tous ses aspects. Cet exercice classique qui s’impose à toutes les parties prenantes est un moment privilégié d’introspection et d’objectivité pour une autocritique sincère et une critique constructive. Le cas échéant, il permet de tirer tous les enseignements pratiques des élections dans une approche systémique incluant: les acteurs et les actrices, les alliances, l’administration et le matériel électoral, le financement, politique, la campagne électorale, les résultats, la dévolution du pouvoir local, les rapports des forces et la recomposition politique, le système électoral, l’application de la loi sur la parité etc. La méthodologie idéale pour réussir une bonne évaluation est à mon humble avis l’approche multi acteurs et multidisciplinaires qui favorise un regard croisé des politologues, des anthropologues, des sociologues, des partis et des coalitions de partis politiques, de spécialistes de la communication, de la société civile, des électeurs et électrices, de l’administration, de la CENA et des CEDA, des forces de sécurité, des médias, des observateurs, des artistes, de l’entreprise électorale etc. Convaincu que cette tâche n’est pas aisée, j’ai choisi de focaliser cette première contribution sur l’un des principaux acteurs collectifs des locales de Juin 2014: le BENNO BOKK YAKAAR (BBY).
Pour rappel le BBY est né de la volonté de quatre coalitions électorales (Benno Siggil Sénégal, Macky 2012, BENNO AK Tanor et IDY 4 Président. Chacune de ces quatre (4) coalitions avait promis au peuple souverain de soutenir l’opposant le mieux placé. Et ce fut le candidat Macky SALL qui arriva second derrière le Président sortant Me Abdoulaye WADE.
A cet égard, le montage de BBY a été fait sur une base principalement morale et de principe: le respect de la parole donnée pour éviter le « Wax waxeet ».
Subséquemment, le BBY n’est pas un cadre édifié sur le socle d’un programme commun astreignant les différentes signataires à un code de conduite consensuel pour sa mise en œuvre. Certes, le candidat Macky SALL a signé, avec ou sans réserve, les conclusions des Assises nationales (A N) dans sa stratégie de large rassemblement pour accroître son coefficient électoral avec les forces réelles patriotiques qui ont fait les Assises nationales . Ce fut un engagement libre de haute portée politique et morale. En conséquence, le Président Macky SALL ferait bien, par réalisme et pour la valeur de sa signature, de puiser dans ce grand référentiel de propositions et d’orientations pertinentes. En homme d’Etat confirmé, Il doit surtout tenir compte du contexte économique, social et politique national difficile et de l’environnement sous-régional, régional et mondial car ce patrimoine national, sans être une panacée magique, n’en constitue pas moins un guide pour des réformes institutionnelles qui ouvrent des perspectives de développement économique et social ainsi que de consolidation d’un État de droit.
Pour accompagner et conforter le Président Macky SALL dans cette dynamique pour un Sénégal émergent, il faut un autre BBY dans sa composition, sa mission et son fonctionnement.
En réalité, il faut en convenir, notre BBY n’ a pas occupé sa véritable place dans l’espace politique du pays ni joué son rôle de force politique motrice de la majorité présidentielle. L’une des principales causes de son échec se trouve dans son incapacité à opérer le passage nécessaire d’une coalition électorale d’opposition engagée dans un processus de conquête du pouvoir à une majorité présidentielle accompagnant le Chef de l’Etat dans la réalisation de son programme de campagne renforcé (YY→PSE) pour l’Emergence de notre pays et l’amélioration soutenue du vécu quotidien des sénégalais-es.
A mon avis, ces deux structures politiques sont différentes dans leurs composition, leur fonctionnement, leur mission, leurs objectifs et stratégie, la communication et mode d’expression de leur solidarité au Président de la République. En effet, en amont le BBY faisait face à Abdoulaye WADE qu’il a battu pour installer Macky SALL, mais en aval le BBY se retrouve au pouvoir face à une opposition expérimentée, richissime, blessée et agressive. Ainsi le BBY plonge dans un contexte politique totalement différent exigeant une posture nouvelle. Malheureusement un manque de prise de conscience des enjeux, défis, obligations et priorités de la nouvelle situation n’a pas permis à BBY d’opérer la mutation qui sied en l’occurrence et qui implique: de se restructurer en une coalition de la majorité, enrichie de nouvelles forces politiques, économiques et sociales constituant un cadre approprié de réflexion et de concertation. Dans cette perspective, le BBY devrait se muer, en congruence avec sa nouvelle mission, en BENNO BOKK LIGGEY (BBL) pour mieux servir à la majorité présidentielle de « Think tank » et de « Task force ».
Cette évolution politique, à la fois qualitative et quantitative, aurait pu être balisée par les travaux d’un atelier de production où les participant-es auraient déjà partagé la vision du Président de la République qui se reflète à travers le PSE, sa volonté d’approfondir la démocratie et l’Etat de droit, de promouvoir la bonne gouvernance dans son principe fondamental de reddition des comptes pour les gouvernants actuels comme pour ‘’l’ancien régime’’ (traque des biens supposés mal acquis) De la même manière, seraient partagés l’engagement du Chef de l’Etat de renforcer la décentralisation par l’initiation de l’Acte 3, de raffermir l’armature institutionnelle du pays (CNRI) et de reformer profondément le système éducatif et l’enseignement supérieur(assises et consultations). Il en serait de même pour le pari fait par le Président sur l’amélioration de l’accès à la santé (CMU, gratuité pour 0-5ans et Sésame) et son projet de réduction de la pauvreté (BF), d’amélioration du pouvoir d’achat des populations( baisse des prix des denrées et de la fiscalité sur les salaires), de revalorisation du travail agricole( accès plus facile aux semences aux matériels et aux intrants, augmentation du prix au producteur), son option pour une diplomatie de développement et ses engagements internationaux.
Ledit atelier produirait un Document d’Orientation Stratégique (DOS) dont la validation politique par le responsable moral national de BBY, en l’occurrence le Président de l’APR et de Macky 2012, permettrait la mise en place de la nouvelle structure dont le DOS déclinerait de manière explicite la mission, les objectifs généraux et intermédiaires, le mode et les moyens de fonctionnement, la modalité de prise de décision, les structures locales, l’organigramme, la stratégie de mobilisation politique et citoyenne autour des choix du Président de la République, le système de communication horizontale et verticale, le code de conduite ou gentlemen agreement, le listing des activités et les modalités de leur prise en charge,
Une telle orientation faciliterait la concertation dans la nouvelle alliance sur le contexte local, national et international pour identifier les enjeux, les défis , les priorités, rôles et les obligations du moment.
Tout le monde constate, la majorité avec regret et l’opposition avec plaisir, que le BBY n’est pas dans cette dynamique. Au contraire il est inadapté, désarticulé et sans âme à l’image de ses sous-composantes d’alors et d’aujourd’hui: le BENNO SIGGIL SENEGAL, MACKY 2012, BENNO AK TANOR et IDY 4 PRESIDENT.
Jusqu’à preuve du contraire, aucune de ces sous-composantes de BBY n’ a conduit une évaluation sérieuse des élections de 2012, encore moins procédé à une analyse objective du contexte post Abdoulaye WADE. En réalité, le recours à une telle méthode scientifique et responsable aurait instruit la nécessité de maintenir toutes les coalitions en vie en développant des initiatives et des activités propres pour accompagner le Président, soutenir la magistrature dans sa volonté d’indépendance et mener des campagnes de sensibilisation et de mobilisation pour contenir l’opposition.
A un niveau plus désagrégé, aucun parti membre des sous-composantes citées plus haut n’a procédé à une appréciation critique et prospective de la situation pour trouver, à l’interne, la nouvelle orientation à proposer au BBY vainqueur avec 65%.
La qualité de cette victoire éclatante en 2012 contraste avec la pagaille indescriptible créée par le BBY ou par l’une ou l’autre de ses sous-composantes lors des locales de Juin 2014. Presque partout dans le pays des coalitions ont surgi des flancs et/ou des cendres de BBY; cette attitude de défiance vis-à-vis de la circulaire nationale sur les alliances qui excluait l’opposition radicale (REWMI, PDS, BOKK GISS GISS) a conduit à un émiettement de la majorité présidentielle et, subséquemment, à la perte de Mairies stratégiques comme Dakar, Thiés, Rufisque et – peut-être – Podor, mais aussi la défaite électorale suivie du limogeage du Premier Ministre. Cette déroute électorale venait de mettre en évidence l’inconsistance, l’incohérence et les contradictions latentes de BBY. Dans un tel état d’inorganisation et d’ingénuité, le BBY ne pouvait pas prendre toute la mesure de ses responsabilités en tant que coalition gouvernementale. Surpris et abasourdi par la tempête de l’Acte 3 portant réforme de la décentralisation, il a tout improvisé tant au niveau national que local. Évidemment, la réforme a été faite très vite sans une large concertation; et cette accélération déchaînée qu’aucune urgence nationale ne justifiait n’a pas permis son appropriation par la majorité des acteurs(trices)du développement local et les politiques dont le BBY. Même le parti du Président, l’APR, n’a pas bien compris les enjeux nationaux des locales de Juin 2014 et, manifestement, il ne s’est pas approprié l’Acte III pour assumer ses responsabilités, son rôle de locomotive politico-institutionnelle dans une approche citoyenne, inclusive et participative. Ce parti n’a pas compris que pour le Président Macky SALL, l’Acte III est, à travers la communalisation intégrale et l’érection du département à un niveau de collectivité locale, la clé du développement local par, pour et avec les communautés. Cette volonté politique traverse l’Acte de bout en bout malgré les réserves et appréhensions qu’il est possible de nourrir relativement à la suppression de la Région (seule la mise en œuvre pourra dissiper ou confirmer ces réserves ou appréhensions). Le cas échéant, les décideurs et les ayant-droit apporteront les réajustements appropriés à la lumière des enseignements tirés du vécu.
Cependant, je constate et admets, sans impertinence aucune, que le Chef de l’Etat est en avance(un peu forcée) sur son parti et ses alliés du BBY quant à la réflexion prospective sur les mutations et les réformes à opérer pour réunir les conditions favorables à la réalisation du PSE et des autres politiques sectorielles. Pour ce faire, il a besoin d’élargir son alliance et de la rendre plus efficace. Mais il n’a pas beaucoup de temps devant lui pour se payer le luxe d’attendre, dans un contexte socio-économique et politique difficile, une coalition(BBY) poussive.
Au demeurant, la situation du pays exige que le BBY soit reconstruit sur une nouvelle base, large et ferme, au terme d’une évaluation courageuse et objective des locales. Ainsi seulement il pourra réussir sa mission principale qui est d’accompagner le Président de la République dans sa détermination à poursuivre la mise en œuvre de ses politiques énergétique, de bonne gouvernance (avec une reddition des comptes satisfaisante), et de prise en charge de la situation très préoccupante du monde rural.
Faire l’économie d’une telle évolution relèverait d’une politique de l’autruche ou d’un jeu de dupes.
Pour relever la qualité de la fourniture de l’électricité, conduire la traque des biens supposés mal acquis, prévenir et/ou gérer les conséquences dramatiques d’une éventuelle mauvaise campagne agricole, mettre en œuvre les grandes réformes consensuelles de l’éducation, de l’enseignement supérieur et des institutions, dans l’unité et la solidarité, renforcer la stabilité du pays et le remettre au travail pour attirer plus d’investisseurs et de touristes, renforcer la sécurité à nos frontières contre l’infiltration des Djihadistes et de Ebola, il faut un BBY plus adapté à ce contexte d’urgences et de menaces. Ce changement, bien que nécessaire, ne doit pas s’opérer en « jetant le bébé avec l’eau sale du bain » comme le souhaitent les libéraux du régime sortant et des « Aperistes » chasseurs de strapontins et de privilèges. Il ne devrait pas aussi signifier pour le Président de la République une opportunité pour neutraliser ses alliés. Cette stratégie est peut-être une victoire d’aujourd’hui, mais c’est à coup sûr une défaite de demain. En ce qu’elle précipite les partis alliés dans une crise multiforme et multidimensionnelle, provoque chez les militants et militantes la démobilisation, la démotivation, voire la désaffection qui conduisent à la léthargie des structures mais aussi et surtout à la panne de la pensée politique indispensable pour contribuer à la résolution des questions éminemment complexes qui interpellent notre vécu quotidien.
Pour être plus précis, le Président Macky SALL a besoin d’alliés bien portants, influents et dotés de grandes capacités de persuasion et de mobilisation politique et citoyenne autour de ses choix appropriés et contre les tentatives de déstabilisation de l’opposition.
Ce sursaut patriotique qui s’impose au BBY est d’autant plus urgent que ladite opposition fait dans la surenchère et le « situationnisme » en exploitant d’une façon irresponsable et cynique la mort regrettable de l’étudiant BASSIROU FAYE et les effets dramatiques d’un hivernage tardif.
Mais elle cache mal son angoisse existentielle née de la traque des biens immenses qu’elle aurait mal acquis.
Pour être utile et efficace aux cotés du Président Macky SALL et faire face avec lui à la situation très difficile que le pays traverse, le BBY doit se réorganiser au plus vite.
N.B La prochaine contribution portera sur l’analyse séparée des composantes de BBY.
Amath CAMARA
Membre du Secrétariat du CC du PIT-Sénégal
Président de la Coordination régionale PIT Thiès
Coordonnateur du Forum du Réseau de la Gauche Africaine
African Left Networking Forum (ALNEF)