Par Bassirou S. NDIAYE
A la veille des élections de 2012, un politicologue avait dit à peu près ceci: « quels que soient les résultats des urnes, l’Empereur ne bougera pas ». Pourtant, il est bien parti sans la moindre résistance, apparemment avec l’élégance d’un gentleman après un duel perdu à la régulière. On a vite fait de louer ses qualités de républicain et magnifié orgueilleusement notre « démocratie bicentenaire », îlot miraculeux au milieu de républiques bananières composées de tribus esclavagistes et mangeuses d’hommes.
Les observateurs avertis avaient néanmoins décelé des signes de départ précipité, comme la retraite mal préparée d’une armée mise en déroute. Les cafouillages notés dans un déménagement manifestement désordonné, avaient occasionné des maladresses indignes du rang de l’Empereur… et de son sang aussi, si on s’en tient à ses dernières proclamations de foi. Certains avaient même décelé des actes de vandalisme, là où d’autres regrettaient l’inacceptable arrachée à la sauvette par des partisans courroucés, de tapis de seconde main et de bibelots, emportés par un général dans sa retraite. Peut être déjà, l’affleurement un soupçon de preuve que les occupants du palais étaient tentés de ne pas quitter les lieux quels que fût le choix des urnes. Mais on n’était encore qu’au stade des conjectures et des supputations où les interprétations sont rarement objectives.
De toute façon, les prévisions politiques et sociales ne sont pas une prophétie, et moins encore une certitude tirée d’une maitrise de facteurs ésotériques qui échappent au commun des mortels. C’est un raisonnement scientifique, une analyse logiquement déductive de situations, basé sur des paramètres sociaux flexibles modelant un environnement dans lesquels un événement a la probabilité de se produire. Toute action sur les paramètres, peut favoriser ou infléchir la tendance. Le quasi plébiscite en faveur de son adversaire du second tour était certainement de ces paramètres ayant obligé l’Empereur à « bouger » envers et contre toute logique.
Aujourd’hui, ceux qui étaient tentés de qualifier de bonimenteur le politicologue devront revoir leurs copies à la lumière des dernières déclarations de l’Empereur déchu. Il « n’accepte pas d’être dirigé par un descendant d’esclaves » (sic). Il n’avait donc pas accepté le verdict des urnes, et c’est bien le rapport des forces qui lui avait imposé sa conduite.
Si la majorité de nos concitoyens a été choquée par ses insultes récentes, celles-ci ne seraient pourtant que l’ombre d’une proie hautement plus scandaleuse, insidieuse et démocratiquement mortelle. En affirmant que « lui et son rejeton ne se laisseront pas diriger par un descendant d’esclave même si la majorité du royaume se soumet à une telle bassesse », c’est tout le fondement de la république et de la démocratie qui est remis en cause.
Il faut donc être naïf pour ne parler que de maladresse verbale ou inviter à la compréhension vis-à-vis des propos infantiles d’un nonagénaire aux frontières de la sénilité. De telles affirmations ont été faites par un homme au cœur du pouvoir depuis des décennies, et à la tête de l’état douze ans durant.
- La défenestration de ses compagnons historiques qui avaient dénoncé son projet de « constitution monarchique», était passée sous silence, qualifiée de règlement de compte entre politiques.
- L’amère pilule de l’intronisation théorique du rejeton comme le « plus intelligent de Ndoumbélaan» avait aussi été avalée par ses partisans dans le silence, comme d’autres pilules plus amères dans les couloirs feutrés du pouvoir bleu.
- En octroyant au rejeton le contrôle de la mer, de la terre et du ciel d’un royaume sous sa coupe, la dévolution monarchique entrait déjà dans sa phase pratique. Son entourage l’avait encore soutenu et ou supporté, en tout cas toléré dans sa démarche, malgré les humeurs des concitoyens de Goorgorlu.
Quelles étaient donc les règles de gouvernance de l’Empereur au cours de cette alternance I qui se révèle chaque jour à nos yeux comme une république génétiquement modifiée, pondeuse de scandales ? Quel crédit accorder désormais aux élections organisées au cours de cette plus que décennie, sur la base de règles que nous croyions communes et universelles ? Comment regarderons-nous désormais ceux à qui il avait donné des pouvoirs de décisions que nous croyions uniquement basés sur le mérite technique, intellectuel et moral ? Devaient-ils leurs statuts au sang bleu de leurs veines ou n’étaient-ils que des courtisans au service d’un monarque gâteux ? L’Empereur déchu peut-il aujourd’hui, réclamer des élections anticipées au suffrage universel dans une république où certains citoyens sont nés pour gouverner et d’autres historiquement impropres aux charges républicaines à cause de la couleur de leur sang ? Est-ce cet homme qui fait appel à Barak Obama (président noir dans un pays où ses parents n’avaient pas le droit de vote) pour l’aider à libérer son rejeton des « griffes injustes » du Gladiateur ? Quelle contradiction ! Une autre cible aurait été plus recommandée pour ce cas de figure. Mais dans la république de l’Alternance II, monstre issu de croisements d’êtres et d’idéologies si différents, le ridicule ne tue pas !
On prétend qu’il faut plutôt en rire. Mais rire de quoi ? De notre faiblesse ? De notre démocratie de façade réelle ou supposée ? Ces injures ne sont pas que des paroles en l’air autorisant un « prétendu offensé » parce nommément cité, fut-il le premier d’entre nous à engager une action ou à pardonner leur auteur. C’est une insulte à toute la république, dont des millions d’entre nous, isolés ou dans des groupements humains y compris l’état et les associations, devraient avoir le courage et la possibilité juridique d’ester son auteur. Si notre arsenal juridique n’est pas armé pour permettre une telle action (et ce serait apparemment le cas), c’est bien la preuve que nous prêchons du faux et que rien ne nous met à l’abri de récidives dont la jurisprudence garantirait l’impunité. Les cris de révolte des uns, la virulence des répliques déclenchées par les autres (dont certains le qualifient maladroitement d’être surnaturel venu d’outre tombe), attestent de la volonté affichée des acteurs de ne pas se résoudre à passer l’éponge. C’est pourquoi, l’accalmie probable que pourrait nous imposer un souci d’apaisement n’est que le premier round d’un combat de boxe sans règles, loin d’avoir livré son verdict.
BANDIA, Mars 2015