Par Bassirou S. NDIAYE
« Les nations européennes se vautrent dans l’opulence la plus ostentatoire. Cette opulence européenne est littéralement scandaleuse car elle a été bâtie sur le dos des esclaves, elle s’est nourrie du sang des esclaves, elle vient en droite ligne du sol et du sous-sol de ce monde sous-développé. Le bien-être et le progrès de l’Europe ont été bâtis avec la sueur et les cadavres des Nègres, des Arabes, des Indiens et des Jaunes. Cela nous décidons de ne plus l’oublier. » (Les Damnés de la Terre (1961), Frantz Fanon, éd. La Découverte poche, 2002, p. 94)
La bataille citoyenne et politique devrait être une confrontation d’idées, un étalage philosophique de morales de vie où l’idéal des rapports des hommes entre eux et entre les hommes et leur environnement serait au cœur du débat. Elle ne saurait donc se résumer en un duel se clôturant par la mort physique ou morale de l’adversaire. C’est peut être la plus grande leçon à tirer de l’exercice du pouvoir après la grande révolution d’octobre (héritière de la commune), dont l’avènement restera à jamais une des plus grandes sources de transformation sociale de l’humanité.
La « dictature du prolétariat » était bien légitimée par l’histoire de la lutte des peuples pour leur émancipation. Elle a débouché sur la remise en cause du capitalisme comme seule et unique forme de rapport économique et social entre les hommes d’une part et entre les hommes et leur environnement d’autre part, ébranlé puis abattu le mythe de la « supériorité naturelle » de groupes d’hommes sur d’autres groupes d’hommes, de peuples sur d’autres peuples. Elle a démasqué la religion complice des gouvernants quand elle a aidé à imposer des rapports de domination comme un fait inviolable de Dieu et des dieux.
Mais en refusant l’expression d’une offre économique, politique et sociale différente et contradictoire aux vaincus fussent-ils minoritaires, elle a contribué à créer le mythe de la foi opprimée, du capitalisme attractif en minorant ses terreurs, ses dictatures sanglantes avec son expression ultime l’impérialisme, qui légitimait l’accaparement des richesses d’autres peuples pour faire briller un pôle d’excellence nommé Occident.
La lutte pour le droit à l’expression de groupes sociaux fussent-ils porteurs d’idées jugées malveillantes, centrée autour du slogan de « la liberté et de la démocratie » a enrôlé des masses d’horizons divers ayant parfois des intérêts contradictoires. Sans renier leur mérite aux peuples travailleurs confinés dans ses limites géographiques, on peut dire sans risque d’être démenti que chaque lumière, chaque accumulation de richesses, chaque progrès scientifique et technique de l’Occident n’aura été que le produit fini de matières premières faites de sang, de sueur et de larmes, de ressources humaines, intellectuelles et matérielles, de parties de terres et de sous-sol de peuples opprimés d’ailleurs.
Autoproclamé vainqueur dans sa confrontation avec le bloc de l’Est depuis la chute symbolique du mur de Berlin en 1989, l’Occident a tenté de redessiner le monde au propre et au figuré, en pauvres et en riches, en barbares sous développés et en civilisés triomphant de leurs valeurs matérielles et immatérielles.
Les millions de victimes au Vietnam (mortes, violées, estropiées, brulées au napalm), la promotion de dictatures féroces en Amérique Latine, en Asie et en Afrique, les massacres quotidiens de palestiniens, n’était-ce pas aussi au nom de « la liberté et la démocratie » ? Aujourd’hui, « la meute » des migrants, dont près de la moitié est quotidiennement engloutie dans les mers, ne ressemble t-il pas à des spoliés qui suivent la trace de sang laissée par les prédateurs et qui mène vers cet Occident qui veut briller seul tout en restant inaccessible au monde de désolation que sa cupidité a engendré au cours de siècles d’histoire macabre ?
L’existence d’un différend historique jamais réellement posé à son échelle, surgit ainsi de temps à autre sous la forme de conflits plus ou moins violents que l’on s’empresse de circonscrire comme on colmaterait la brèche d’un navire en pleine mer en attendant un éventuel accostage pourtant jamais programmé. L’indispensable dialogue entre les peuples et les nations au prétoire de ce « Truc des Nations que l’on dit Machins » n’aura jamais servi autrement qu’en antalgique aux effets éphémères auquel l’Occident fait recours chaque fois que l’horreur venait à être franchie car « dans ces pays-là, un génocide, ce n’est pas trop important », comme le disait François Mitterrand. (Propos rapportés par Patrick de Saint-Exupéry dans le Figaro du 12.01.98)
- En substituant la colonisation avec ses valets à la traite négrière toujours avec des complices locaux, puis le néocolonianisme au colonialisme bâti sur une classe autochtone corrompue,
- En mettant en place des groupuscules fascisants pour contrer la lutte des peuples contre la dictature des multinationales au Nicaragua, au Salvador, en Colombie, et dans bien d’autres contrées du monde,
- L’hydre islamiste reconnue comme le plus génocidaire des nations de l’islam au propre et au figuré, n’est-il pas que le mutant de cette créature in vitro fabriquée dans les laboratoires de la « liberté et de la démocratie» pour abattre les héritiers de la grande révolution d’Octobre stupidement piégés en Afghanistan ? N’est-ce pas au nom de « la liberté et de la démocratie» qu’elle a été nourrie, entretenue, entrainée au pillage des infrastructures économiques, à imposer dans la terreur, l’adoption d’un calendrier à rebours à des peuples en leur refusant l’accès à l’éducation et à la formation.
- En décrétant l’isolement de plus de la moitié de l’humanité mise en quarantaine pour cause de mal endémique nommé pauvreté,
- En menaçant d’exclure de ses rangs les nations fondatrices de sa civilisation pour raison de pauvreté,
L’Occident est en passe de franchir un pas historique lourd de danger.
La vague de migrants « illégaux » qui a déferlé cette semaine à travers les frontières de l’Europe est un signe. Il ne s’agit plus en effet de clandestins ayant conscience d’avoir commis un délit en franchissant sans autorisation les frontières de l’ « Eden », mais bien des hommes et des femmes qui réclament leur droit à prendre leur part du trésor de la caverne d’Ali Baba, héritage de richesses accumulées au fil de siècles par des prédateurs venus d’ailleurs. Ce faisant, ils reprennent en l’ignorant pour la plupart d’entre eux, ces vers de l’Internationale :
« ……………………………………
Debout ! Les damnés de la terre !
Debout ! Les forçats de la faim !
Pour vaincre la misère et l’ombre
Foule esclave, debout ! Debout !
C’est nous le droit, c’est nous le nombre :
Nous qui n’étions rien, soyons tout » :
Et qui disait que la lutte des classes était morte ? Reconnaissons-lui tout de même un nouveau nom et un nouveau visage encore mal définis, peut être aussi, la difficulté à identifier les acteurs et donc les protagonistes d’une lutte à l’issue de laquelle, le monde va certainement changer de base.
Si nous ignorons le fond de sa pensée, les déclarations de notre Gladiateur National dans son discours en marge de la 33eme session du Comité d’orientation du Nepad, ont peut être résumé ce qui devrait être une position de principe pour l’ensemble des dirigeants africains et du monde en général. « …la barricade seule, le Frontex seul ne suffiraient pas à fermer l’Europe. Sinon l’histoire rattrapera l’Europe. (…) Aujourd’hui tout ce que nous demandons, c’est un traitement avec la dignité requise et une collaboration internationale pour que l’Afrique assure l’avenir de sa jeunesse. Nous ne pouvons pas accepter qu’on traite l’Afrique avec mépris. Ce continent a trop payé pour des bêtises de l’humanité à travers la traite négrière, la colonisation. Nos ressources continuent encore à être pillées. Il faut mettre fin à l’injustice dans les relations d’affaires… » (Sic)
Dans des contributions antérieures (toute idée partisane mise à part), nous avons souvent regretté une absence d’engagement conséquent aussi bien de ses amis et alliés que des simples patriotes aux cotés du Gladiateur chaque fois qu’il s’engageait dans une bataille d’intérêt national difficile, dont nous sommes bien souvent les demandeurs et les bénéficiaires exclusifs. Ce fut le cas sur la traque des biens mal acquis qu’une certaine presse a contribué à transformer en un duel entre lui et les prédateurs. Le sur-place noté ici et qualifié d’hésitation ou pire, de volonté de négociations politiques bilatérales, ne serait-il pas une alternative stratégique pour un combattant peu ou mal soutenu ?
Nous avons dénoncé en son temps cette attitude politicienne en ces termes : « Quels que soient par ailleurs les griefs qu’on pourrait nourrir à son endroit, ses intentions avouées et inavouées, quel que soit le gain politique qu’il pourrait tirer d’une telle opération, n’est-il pas que le chargé d’une mission collective peut-être trop ingrate dont les médias en particulier, ont écrit les termes de référence et défini le cahier de charges ? » (In « les jalons de l’Empereur » ; Bandia, Février 2015).
La bataille citoyenne et politique à Ndoumbélaan est et doit rester une question interne. Politiciens et simples citoyens doivent en faire une question de principe et d’honneur. Les institutions internationales invitées au débat avant et après la condamnation du rejeton de l’Empereur, prince héritier du trône de Ndoumbélan « injustement occupé » par le Gladiateur, a encore fait la « Une » des média. Curieux Ndoumbélaan où nos experts juristes et humanitaires si proches des institutions internationales, sont inaudibles pour demander la liberté des hérétiques condamnés à mort en Arabie Saoudite, des auteurs de détournement de deniers publics exécutés en Chine, des lapidations de supposés auteurs d’adultère, pour dénoncer la traque yankee de Edward Snowden ou pour exiger la libération de dizaines de milliers de nos frères palestiniens privés de leurs terres et embastillés dans les prisons sionistes. Aujourd’hui, ils agissent sélectivement, pour libérer le prince en faisant brandir et en encourageant des sanctions internationales dont une improbable mise en exécution n’affecterait autre que Gorgoorlu qui demeure le citoyen le plus vulnérable à la périphérie.
Mais si nous sommes signataires de conventions internationales, c’est parce nous l’avons voulu. Peut-on concevoir que ce « Truc des Nations que l’on dit Machins » nous oblige à libérer des prédateurs de nos deniers publics condamnés par nos propres lois et en toute souveraineté ? Doit-on au nom d’une volonté partisane affaiblir nos institutions pour la liberté des voleurs de milliards retenus dans des palaces en oubliant le sort de milliers de voleurs de poules qui croupissent dans des conditions inhumaines ?
Le recours à des ressources extérieures de quelque nature, pour venir à bout d’un adversaire politique est simplement antipatriotique. Apanage des hommes politiques pressés et des nostalgiques de pouvoir renvoyés à leurs alphabet, ces pratiques s’apparentent à un mercenariat politique, juridique ou économique inacceptable pour régler nos différends.
Nos préoccupations partisanes suspendues aux prochaines échéances présidentielles dont la date pendulaire oscille entre le légal et le moral ne devrait pas nous empêcher de nous prononcer enfin sur la dramatique question de l’émigration. Aurons-nous le courage de manifester malgré nos différends, notre soutien au Gladiateur dans cette bataille à haute dimension patriotique et humanitaire ? En tout cas :
- Si la sortie du Gladiateur ne trouvait pas un écho auprès des acteurs locaux,
- Si les partis politiques, les associations, y compris les clergés ne lui apportaient pas bruyamment un soutien,
- Si son discours se résumait en une allocution formelle d’un participant à un colloque,
Ses propos risqueraient fort d’être interprétés par ceux à qui ils sont destinés comme un geste volontariste à ranger au placard des faits divers. Parce qu’une allocution formelle venant de « ces pays là, ce n’est pas très important ».
BANDIA, JUIN 2015