DECLARATION LIMINAIRE DU POINT DE PRESSE DES MEDECINS DES CENTRES DE SANTE DU DEPARTEMENT DE DAKAR

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THEME : « LICENCIEMENT » DE NOTRE CONFRERE ET CONSEQUENCES DE L’ACTE 3 DE LA DECENTRALISATION SUR LE SYSTEME DE SANTE MUNICIPAL

  • INTRODUCTION

En 1996, le Sénégal avait entrepris une réforme de grande ampleur plus connue sous le nom d’acte 2 de la Décentralisation à l’origine de l’autonomie morale et financière des collectivités locales, de l’érection de la région en collectivité locale à côté de la commune et de la communauté rurale, et du transfert de neuf domaines de compétences dont la Santé, l’Education, l’environnement, le sport, etc…

Malheureusement, les comités de gestion devant permettre aux élus locaux de coordonner la gestion des structures sanitaires, grâce à la prise en compte des ressources financières de provenance diverse, furent très peu fonctionnels. De plus, l’effectivité du contrôle des autorités administratives sur les présidents de collectivités locales laissait beaucoup à désirer.

Cela a abouti au fait que les budgets dévolus à la Santé par l’Etat central ne parvenaient plus du tout ou très peu aux districts sanitaires et aux EPS.

Dans un mémorandum paru en Décembre 2014 et portant sur l’acte 3 de la décentralisation et la réforme du district, les médecins-chefs de la Région de Dakar attiraient déjà l’attention sur le fait que « les réformes proposées ne tenaient aucun compte des leçons tirées de la gestion peu satisfaisante du transfert de la compétence Santé et Action sociale aux collectivités locales, depuis 1996.»

Par l’acte 3 de la décentralisation, l’état du Sénégal vient de supprimer 2 ordres de collectivités locales qu’étaient la Région et la communauté rurale et d’en créer un nouveau, à savoir le Département tout en procédant à une communalisation universelle.

Tout ce processus s’est déroulé sans une réelle concertation avec le Ministère de la Santé et de l’Action Sociale sur la question du devenir des structures de santé qui vont faire l’objet de la dévolution puisque la santé est une compétence transférée.

A Dakar, la DASS (Direction de l’Action Sanitaire et des Services aux Personnes) qui est une direction de la Ville de Dakar et qui était le premier employeur des agents de santé municipaux, avait pour mission l’élaboration et la mise en œuvre de la politique municipale en matière sanitaire et sociale en liaison avec les départements ministériels concernés. Et l’acte 3 vient de supprimer de fait cette direction.

Ce redéploiement du personnel de la Ville de Dakar vers les communes de plein exercice qui est en fait une substitution d’employeur, a fait fi des dispositions du code du travail notamment en son article L. 66 aux fins de garantir à tous les travailleurs leurs droits et avantages déjà acquis au service de notre premier employeur qu’était la DASS qui est un des services de la Ville de Dakar.

Par ailleurs, force est de constater qu’une fois de plus, les nouveaux textes de l’acte 3 de la décentralisation ont également occulté le district sanitaire, alors même que celui-ci est considéré comme l’unité de base de la planification et de l’allocation des ressources du ministère de la Santé et de l’Action Sociale.

Autant dire que les travailleurs municipaux ont été livrés pieds et poings liés à de nouvelles collectivités locales, au niveau desquelles, la gouvernance est à parfaire.

Ce rassemblement du mercredi 1er juillet 2015 a été initié pour que les travailleurs des centres de santé du Département de Dakar (étatiques et municipaux) puissent protester de la manière la plus vigoureuse contre le prétendu licenciement du médecin-chef du centre de santé de Grand Dakar.

Nous dénions au maire de la commune de Grand-Dakar le droit de licencier arbitrairement un fonctionnaire de l’Administration sénégalaise, surtout quand il utilise des prétextes aussi fallacieux que ceux qu’il a mis en avant.

Une décision aussi lourde de conséquences ne peut être que l’aboutissement d’une procédure graduelle, longue et contradictoire, dans laquelle les autorités administratives jouent un rôle d’arbitrage, de validation et de recours.

En effet, selon la loi n° 2011-08 du 30 mars 2011 relative au statut général des fonctionnaires des Collectivités locales, titre V (discipline), l’article 44 dit que les sanctions des premier et deuxième degrés sont prononcées sans consultation du conseil de discipline, mais auparavant, le fonctionnaire est mis à même de présenter, par écrit, ses explications sur les faits qui lui sont reprochés.

Le refus de présenter les explications demandées entraîne automatiquement l’application d’une sanction du premier ou du deuxième degré.

L’article 45 dit que les autres sanctions disciplinaires sont prononcées après avis du conseil de discipline.

L’article 46 dit que le conseil de discipline est saisi par un rapport émanant de l’autorité investie du pouvoir disciplinaire qui doit indiquer clairement les faits répréhensibles et, s’il y a lieu, les circonstances dans lesquelles ils ont été commis.

Pour rappel, l’article 42 de cette loi énumère les sanctions disciplinaires sont qui sont :

1- Pour le premier degré :

– l’avertissement ;

– le blâme ;

2-Pour le deuxième degré :

– la réduction d’ancienneté qui ne peut excéder deux ans ;

3- Pour le troisième degré :

– la radiation du tableau d’avancement pour deux ans ;

– la rétrogradation ;

– l’exclusion temporaire de fonction pour une durée maximale de six mois ;

– la révocation sans suspension des droits à pension ;

– la révocation avec suspension des droits à pension.

Ainsi, comment un maire d’une commune peut-il licencier un médecin sous prétexte qu’il a refusé de congédier deux agents de santé communautaires, qui relèvent de l’autorité du Comité de santé, dans le cadre du dispositif de mobilisation des ressources communautaires au profit de la Santé ?

N’a-t-il pas commencé par exiger du médecin-chef, dès le lendemain des élections locales, qu’il lui remettre le chéquier du comité de santé alors que le décret N°92-118 du 17 janvier 1992 fixant les obligations auxquelles sont soumis les comités de santé stipule, en son article 21, que « le responsable de la formation sanitaire détient le chéquier » ?

Nous voulons, à ce stade, préciser que les comités de santé sont des structures mises en place par décret présidentiel et jouissent d’une autonomie vis-à-vis des autorités municipales, même s’ils restent sous la tutelle technique du Ministère de la Santé et de l’Action sociale.

Par ailleurs, le transfert de la compétence santé aux collectivités locales ne peut, en aucune manière, vouloir dire que les maires de commune, même au cas où ils seraient des professionnels de la santé, sont chargés de la gestion quotidienne des structures sanitaires.

C’est ce qui justifie la crainte des professionnels de santé de voir les élus locaux tenter de confisquer leurs attributions, de les confiner au rôle de simples exécutants des quatre volontés du maire, ce qui reviendrait à leur contester le leadership technique dans leur propre domaine d’activité.

Donc en réalité, cet acte que le Maire de Grand Dakar vient de poser semble découler de son incompréhension manifeste des textes de la décentralisation, particulièrement ceux du nouvel acte 3, des textes qui régissent le fonctionnement des comités de santé, mais aussi des lois et règlements qui régissent la loi  n° 2011-08 du 30 mars 2011 relative au statut général des fonctionnaires des Collectivités locales.

Ce licenciement de notre confrère vient s’ajouter aux autres dysfonctionnements, qui caractérisent la mise en œuvre de l’acte 3 de la décentralisation :

  • Le retard de paiement des salaires des agents municipaux,
  • Des indemnités de congé, de départ à la retraite, primes, heures supplémentaires non versées par certaines nouvelles communes ;
  • Une absence totale de couverture maladie par le biais des imputations budgétaires au niveau de la plupart des communes ;
  • Les cotisations sociales non versées à l’IPRES, à la caisse de sécurité sociale par certaines communes ainsi que la question des allocations familiales.
  • Le refus et/ou l’incapacité de la plupart des maires de commune de payer les factures des dépenses courantes (électricité, eau, téléphone), allant à contrecourant de l’arrêté préfectoral portant répartition du patrimoine de la Ville de Dakar,
  • Des initiatives dangereuses de certains élus locaux consistant à faire intervenir des ONG privées ne disposant d’aucune autorisation d’exercer dans des structures publiques…

Les travailleurs municipaux de la Santé refusent de faire les frais des difficultés dans la mise en œuvre de l’acte 3 de la décentralisation, que les élus locaux de la Ville de Dakar ont eux-mêmes constatées lors de leur Assemblée Générale du 15 juin 2015 à l’hôtel de Ville de Dakar.

C’est pourquoi, nous médecins-chefs des centres de santé de Dakar, pensons qu’il faut apporter une riposte appropriée aux agissements révoltants du maire de la commune de Grand-Dakar vis-à-vis des agents du centre de santé de Grand-Dakar, qu’il continue de menacer, montrant ainsi tout le mépris qu’il nourrit à l’endroit des travailleurs de la santé de notre pays.

Par conséquent, nous exigeons :

  • Le rétablissement, sans conditions de notre confrère dans ses droits et ce dans les plus brefs délais,
  • La suspension du redéploiement des travailleurs municipaux aux nouvelles communes qui est en fait une substitution d’employeur, et leur réintégration à la Ville de Dakar qui était leur employeur ;
  • L’amélioration de leurs conditions de travail et de vie, le respect des droits et libertés, la défense et la promotion de la protection sociale, la défense et le maintien des avantages acquis statutaires, conventionnels et locaux.
  • L’application de la loi n° 2011-08 du 30 mars 2011 relative au statut général des fonctionnaires des Collectivités locales.

Le combat mené par les travailleurs des collectivités locales en ce qui concerne le dossier relatif à cette fonction publique locale est légitime et s’inscrit dans le cadre de l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail ainsi que la sécurisation de leur emploi.

Nous nous engageons, en plus des démarches judiciaires en cours, à rencontrer tous les syndicats du secteur de la santé, toute la presse, la société civile, les institutions de la République et à faire de journées de débrayage « journée morte » dans les structures sanitaires de Dakar…).

  • CONCLUSION

L’application de l’acte 3 de la décentralisation suscite beaucoup de débats au niveau de la scène politique, auprès de l’opinion publique et plus particulièrement au niveau du secteur de la santé et de l’éducation.

Le Sénégal, depuis son accession à la souveraineté internationale, avait opté pour une politique de décentralisation progressive et prudente.

Présidant la cérémonie de lancement de ce nouveau processus des collectivités territoriales, le président sénégalais Monsieur Macky SALL avait indiqué que l’objectif de l’Acte 3 de la décentralisation au Sénégal était d’organiser le pays en territoires viables, compétitifs, porteurs d’un développement durable.

Force est de constater qu’une fois de plus, cette nouvelle politique de décentralisation dont l’idée peut être jugée bonne, a été précipitée, et n’est pas cohérente dans ses principes et performante dans sa mise en œuvre.

La mise en œuvre de cet acte 3 de la décentralisation est une situation sans précédent au Sénégal qui, dans les années 90, était considéré comme une référence en matière de décentralisation pour les pays africains.

C’est pour ces raisons que nous appelons les autorités à faire preuve de sagesse, de patience dans toutes les réformes qui pourraient du reste être nécessaires, mais qui doivent permettre au Président Macky Sall d’apporter des réponses satisfaisantes relatives à la demande des populations.

Il s’agit au fond, en collaboration avec tous les acteurs, de mettre en place un système de décentralisation qui vise la modernisation de la gestion publique territoriale avec une réforme résolue des finances locales et la promotion soutenue qualitative des ressources humaines, mais aussi un système sanitaire local qui permet aux  populations d’accéder aux soins de qualité et à moindre coût.

LE COLLECTIF DES MEDECINS DES CENTRES

DE SANTE DU DEPARTEMENT DE DAKAR


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