Par Bassirou S. NDIAYE
Un journaliste irakien avait jeté une babouche au président Bush venu parader après la grande boucherie américaine au pays de Saddam Hussein. Un citoyen russe administra une gifle mémorable à Mikhaïl Gorbatchev en campagne pour diriger la Russie, le lambeau le plus juteux de ce qui restait de la grande puissance soviétique qu’il venait d’euthanasier. Aujourd’hui des étudiants anonymes de Ndoumbélaan ont tenté de jeter des pierres sur un Gladiateur en mal d’inspiration dont la promenade inopportune sur l’espace universitaire n’aura eu que le mérite de le transformer en une arène de lutte… politique. Pourquoi ? Et surtout pourquoi en ce moment où tous ses concitoyens ont les yeux rivés sur les résultats plus que catastrophiques du « premier diplôme universitaire » qui ne fait décidément plus rêver.
Si l’hécatombe de l’école de Ndoumbélaan ne vaut pas une mise en berne de nos couleurs nationales, elle n’en demeure pas moins une triste réalité ayant touché tous les acteurs. Dans ces conditions, une visite de travail et de réflexions autour du sujet aurait certainement était plus appropriée qu’une promenade de ce genre. Si le Gladiateur était venu parler aux étudiants de leurs problèmes, il aurait certainement été accueilli autrement. Le cas échéant, les casseurs auraient été condamnés par la vox populi et la violence subie, passerait comme un acte de bravoure et de patriotisme pour le « précurseur de visite présidentielle à l’université» si on veut bien mettre dans le placard de l’oubli, celle que le socialiste transhumant, auteur de « jeunesse malsaine » avait effectuée lors de l’inauguration de l’école inter état de médecine vétérinaire exactement à la troisième année de son séjour au palais.
Trois acteurs donc, trois continents différents et une dizaine d’années entre les faits, mais un dénominateur commun, le malaise de pauvres Goorgorlu désorientés par le cours de l’histoire. Ces gestes de dépit apparemment d’acteurs sans aucun lien entre eux, commis par des citoyens ordinaires à travers l’espace et le temps ne peuvent être logiquement interprétés que comme des gestes de dépit d’hommes et ou de femmes impuissants à arrêter de leurs bras la vague destructrice d’une mer en folie qui menace ou a déjà ruiné tous leurs espoirs. En Palestine, l’intifada ou le jet de pierres d’adolescents contre la puissante armée sioniste, la révolte des enfants de Soweto en 1976, la violence des enfants des cités en France, n’ont rien de complots contre l’état mais beaucoup plus d’un sentiment d’indignation d’adolescents à l’étroit dans leurs baskets contre un système qui les étouffe.
L’indignation suscitée par ce qui est considéré par certains comme une « offense à l’institution » relève de l’amalgame. L’institution n’est pas un dieu ou une religion qui s’impose à nous tel quel. C’est un ensemble de valeurs matérielles et immatérielles, symbolisé par des choses et ou des êtres, créé par les hommes et dont l’inviolabilité est protégée par les hommes qui assurent son sacre. Le saint suaire servirait bien de torchon, la Kaaba de matériau de construction s’ils n’avaient pas été mis dans des conditions idéales. Le sacrilège serait tout autant de les exposer à des situations de vulnérabilité que de s’y attaquer au sein de leur espace de sécurité et de sacralité. Pour çà, le Gladiateur a eu tort en allant au mauvais moment au-delà de son espace de sécurité et de sacralité.
Bien sûr, la sécurité et la sacralité ne sont pas figées dans le temps et dans l’espace. Elles ont donc leur place dans l’espace universitaire à condition qu’il soit matériellement, moralement et socialement préparé à les accueillir. Et ce ne fut manifestement pas le cas. Donner raison à ceux qui défendent le droit du Gladiateur à fouler l’espace universitaire, c’est aussi leur rappeler que tous les citoyens ont droit de rentrer au palais. S’ils ne le font pas, c’est pour respecter des règles de bienséance et de préséance dont le Gladiateur n’est pas exempté. Tous les droits sont soumis à des conditions, techniques, sociales, politiques etc. Entrer au palais sans y être admis par les règles et les conditions vaudrait peut être une cour d’assises. Le dialogue a ses règles dont la disposition opportune des acteurs à se parler en est la première. On ne demande pas au vent de s’arrêter de souffler ou à l’océan de retenir ses vagues parce qu’un prince serait de passage.
Des hommes et des femmes (une autre institution) sont payés pour s’assurer de l’opportunité des déplacements du Gladiateur. A défaut, ils risquent de n’être contraints qu’à bander les muscles pour forcer les passages étroits ou de menacer de cour d’assises des adolescents lanceurs de pierres, ce qui ne les empêche pourtant pas de négocier avec les porteurs de kalachnikovs qui hantent le sommeil de nos compatriotes dans le sud du royaume.
Pourtant la violence n’est pas innée dans l’espace universitaire et plus généralement scolaire. C’est bien un caractère acquis que nul ne cherche à éradiquer, forgé par la conscience des occupants toutes hiérarchies confondues (étudiants, professeurs et autres travailleurs), que les pouvoirs publics ne s’intéressent aux revendications de l’école que lorsque celles-ci débordent dans la rue. Brûler des autobus, vandaliser les biens de l’état, le recours aux grèves de la faim etc., sont devenus des moyens efficaces pour se faire payer une bourse d’étudiant, se voir affecter des enseignants et autres droits élémentaires qui n’avaient jamais été la préoccupation de leurs bouillants devanciers au sein de cet espace mythique.
La parenthèse de l’Empereur déchu qui avait recommandé le port de brassards rouges pour exprimer les humeurs a fait long feu. Et ce sont les dirigeants eux-mêmes qui rompirent le pacte autour de cette forme de dialogue en voyant rouge à la moindre apparition d’un tissu de couleur. C’est eux qui ont incité et ou ordonné aux forces de l’ordre à ôter de leur vue les porteurs de brassards. Ils ont donc incité au retour à la violence comme forme d’expression des humeurs citoyennes. Mais pourquoi donc diable nos dirigeants se refusent-ils à voir du rouge quand c’est rouge , à lire la désapprobation de populations mécontentes de leurs manières de gérer les affaires publiques et en même temps esquisser des pas de Ndaw rabin et des sauts de Wango avec leurs partisans ?
Il est bon de leur rappeler, eux les « acteurs autoproclamés de l’approfondissement de la démocratie » dans notre royaume, que même l’impérialiste De Gaulle avait laissé fleurir les pancartes s’opposant à ses volontés, sans violence physique sur les porteurs. Et qui disait que qu’indépendance rime avec liberté d’expression et liberté tout court ? En tout cas, certainement pas à Ndoumbélan sous l’alternance II.
Ceux qui crient victoire ou enchâssent le Gladiateur pour son « courage », marchent sur la tête. Un officier n’a pas besoin de courage mais plutôt de lucidité. Pour gagner bataille, une armée a sûrement besoin de courage, celle des hommes de troupe. Mais la guerre se gagne grâce à la stratégie et la lucidité de ses chefs. Monter au front, se livrer au corps à corps, n’est qu’un aveu d’échec et d’incompétence pour un meneur d’hommes. Si donc le Gladiateur n’a rien d’autre à proposer aux étudiants que la force de ses muscles et un courage protégé par le bouclier d’une cour d’assise, c’est bien qu’il s’est trompé d’arène. En tout cas, Goorgorlu pas du tout gâté par la nature voudrait bien le voir se battre sur d’autres terrains capables d’apporter enfin une solution à la lancinante question de la DQ.
BANDIA, Aout 2015