Par Bassirou S. NDIAYE
Si faire du mal était l’unique moyen d’être riche et puissant, la majorité de l’humanité aurait choisi de rester pauvre et humble. Si commettre des crimes et des délits était l’unique moyen d’accéder au paradis, l’enfer serait désolément peuplé de nobles âmes incapables de faire du mal. Des hommes et des femmes sont forgés pour ne faire que le bien. Sans chercher à se conformer à des normes sociales ou divines préétablies, ils sont toujours prêts à subir les privations, à endurer les souffrances pour défendre l’équité, l’amour et la concorde entre les êtres et les choses, parce que le bonheur de l’homme est leur raison d’être.
D’autres par contre, sont des êtres malfaisants par nature. La génétique, l’éducation, la culture et l’environnement ont façonné en eux une sorte de lave indécelable, un âtre d’été que couve de la cendre. Comme des volcans en éruption, l’avènement de conditions favorables, libère chez eux les monstres dormants. Ils sont capables de surmonter la honte et le déshonneur, la peur de la mort et de l’enfer, la prison et n’importe quelle sanction humaine ou divine, parce qu’ils trouvent du plaisir à faire le mal et sont prêts à assumer voire à jouir des conséquences de leurs forfaits.
L’accumulation insensée d’immenses richesses matérielles soustraites aux nécessiteux qui croupissent dans la misère par une bande de prédateurs, la confiscation des droits et des libertés qui sont tout autant des moyens d’existence philosophiques, culturels et intellectuels, ne s’explique que par la jouissance consciente ou non que leur procure le mal. Une telle disposition n’est pas forcément acquise, et ne peut être considérée comme une déviance inhérente à une expérience personnelle douloureuse, un traumatisme résultant d’antécédents traumatiques ou traumatisants. Ce n’est également pas une conviction philosophique, c’est-à-dire une option consciente d’être et de se comporter, tirée d’une analyse comparative qui déterminerait une prise de position assumée vis-à-vis de l’humanité ; en somme, le choix d’appartenir au camp du mal opposé au camp du bien.
Depuis plus d’une décennie, le débat sur la gouvernance à Ndoumbélaan tourne autour du bouclier juridique mettant à l’abri certaines fonctions contre toute poursuite pénale. Un bouclier qui met à l’abri du regard citoyen leurs quotidiens d’accaparement et de prédation des ressources nationales – Ressources physiques et intellectuelles, ressources environnementales y compris les acquis démocratiques, culturels, économiques et sociaux. Sous le vocable occulte de « secret professionnel », les témoins commis pour veiller sur ces ressources, sont tenus de laisser faire et de garder le silence. Les spécialistes indépendants, en particulier les chercheurs dont les journalistes d’investigation, sous la menace « d’absences de preuves » dont l’exhibition éventuelle serait tout autant illégale pour «détention illicite de documents administratifs », sont juridiquement interdits de témoignage. C’est tout comme si l’environnement juridique et institutionnel de Ndoumbélaan ligotait les gardiens de nos ressources en tenant en joue les témoins et les investigateurs potentiels. Il en résulte une protection des prédateurs durant leurs activités d’une part et d’autre part, une garantie d’impunité après leurs forfaits.
Ce qui fait le charme de la loi, c’est la richesse de son interprétation et donc la possibilité offerte à des juges aux ordres de sévir à souhait. Voilà pourquoi, le débat actuel sur la défenestration du citoyen objecteur de conscience n’est autre qu’un simple débat médiatique destiné à l’opinion. Où est l’éthique quand une loi permet à une caste de s’accaparer des biens collectifs d’une nation ? L’omerta imposée à ceux qui ont la charge de veiller sur ces biens et aux témoins oculaires, peut-elle être assimilée à une déontologie professionnelle ? Le secret médical auquel certains font référence pour nous convaincre n’a rien à voir avec la soustraction frauduleuse et l’accaparement des ressources naturelles. Lorsqu’un médecin fait des prélèvements frauduleux d’organes sur un patient, il commet un vol ou un crime. Dire qu’un membre du corps médical qui le dénonce viole le secret professionnel est une absurdité. Condamner quelqu’un n’appartenant pas à la profession qui en divulgue les preuves pour détention illégale de documents administratifs est un scandale.
Mais l’impunité n’est pas une raison exclusive pour justifier la prédation des ressources. Si elle peut être considérée comme une condition nécessaire, elle est tout autant insuffisante pour justifier les pratiques d’accaparements, la mal-gouvernance et la prédation des ressources matérielles et morales. La garantie de l’impunité ne suffit pas elle seule à encourager la malfaisance, et la peur d’être puni ne saurait dissuader les mauvaises intentions. Ce n’est donc pas l’absence de scrupule, la défiance de la morale et des lois humaines ou divines, mais bien l’opportunité, c’est-à-dire l’occasion et la capacité de nuire offerte à une catégorie de personnes, qui détermine le degré et la fréquence des crimes et des délits. Or, le pouvoir (politique, économique, matériel ou métaphysique), s’il n’est pas encadré par des garde-fous institutionnels efficaces, est capable de concentrer d’immenses moyens entre les mains des individus ou des collectifs, offrant ainsi l’opportunité, l’occasion et la capacité de nuisance.
L’accaparement et la prédation des ressources nationales de Ndoumbélaan (ce n’est pas un fait nouveau), a toujours été masqué par un voile juridique. Sous le règne de l’Empereur déchu, un célèbre opposant (aujourd’hui dans les grâces du pouvoir) en a fait les frais pour avoir révélé l’existence de milliards planqués dans les états du Golfe. L’impunité à l’ombre du pouvoir, crée un espace où seuls les « idéalistes naïfs » n’ayant pas le courage d’être lâches, échappent à la tentation. C’est d’ailleurs autour de cette logique perverse qu’un de nos fonctionnaires gardien de notre patrimoine foncier devenu milliardaire, avait bâti sa défense. Comme si cela ne suffisait pas, nous assistons à un nécessaire hachage des libertés démocratiques résultant de la volonté du Gladiateur d’imposer une chape de plomb sur les pratiques peu orthodoxes dont l’ampleur et la fréquence ont atteint des proportions jamais égalées.
De plus en plus de patriotes anonymes ou non, sans pourtant autant verser dans le registre d’offres de politiques alternatives, dénoncent en alimentant la banque de preuves des crimes et délits. Mais le parapluie satanique influence et rend possible l’arrivée de nouvelles recrues aux intentions malveillantes et le recyclage de torchons politiques qu’on croyait hors d’usage aux côtés du Gladiateur. Ce ne sont ni ses amis ni ses partisans, mais de simples mercenaires, qui trouvent à son ombre les conditions favorables à l’expression de leurs personnalités. Beaucoup de mouvements de lutte armée sont en effet infestés de « vaillants combattants » qui se moquent bien des idéologies et des raisons politiques de leurs chefs. Bien avant l’appât du gain que les mercenaires portent en bandoulière, c’est surtout l’existence d’un environnement favorable à l’épanouissement de personnalités, qui demeure le facteur déterminant dans leur engagement : le meurtre, le vol et le viol, la drogue, l’alcool et le sexe, les crimes et les délits. La multitude « militants Cube Maggi » toujours prompts à plonger dans toutes les sauces gouvernementales, est une preuve de l’existence de ce type de mercenaires à la pêche d’un environnement favorable pour assouvir leurs passions.
Le « Colonel » Tony Callan, nom de guerre du tristement célèbre mercenaire britannique Costas Georgoiu, au service de Roberto Holden, décapitait et jouait au football avec les têtes des enfants lors de la guerre civile en Angola. Pourtant qualifié d’allié idéologique du réactionnaire Roberto Holden, il a défendu à l’occasion de son procès en juillet 1976, que ses crimes ne revêtaient aucun critère idéologique et qu’il ferait la même chose s’il avait été au service du MPLA. Les expériences macabres du sinistre docteur Menguele n’auraient jamais été possibles sans le règne du nazisme. Mais c’est également le nazisme qui a contraint des sommités scientifiques et philosophiques à choisir l’exil ou à s’exposer à la mort en s’opposant à l’idéologie hitlérienne plutôt que de commettre ou de favoriser le mal.
Il est normal que la dynamique démocratique nous divise en partisans et opposants au régime en place. Mais plus que l’appartenance ou non au régime, la question se poserait en termes de bilans individuels des parties prenantes dans l’exercice de la parcelle de pouvoir dont elles ont la charge. La coalition du Gladiateur n’est pas fondée autour d’un idéal de vie partagé, mais plus évidemment autour d’une logique de pouvoir. C’est un groupement d’intérêt économique au sein duquel les composantes se battent pour le contrôle de parcelles de pouvoir et où les intérêts politiques et idéologiques sont occultés. C’est certainement ici qu’il faut chercher le désir exprimé de « l’ancien puissant général de Varsovie » d’assumer la présidence de la nouvelle parure républicaine de Ndoumbélaan. « Si le gladiateur veut bien m’accorder sa confiance » Sic. Comment interpréter autrement ces propos de cet allié dont les fonctions ne vont pas au-delà d’une présidence de conseil d’administration que le Gladiateur « m’a offert comme cadeau d’anniversaire » sic, qui menace l’opposition du royaume d’interdire une marche programmée, si sa demande n’était pas … formulée poliment ?
Toutes les révélations actuelles laissent penser que seul le clan familial du Gladiateur peut être mis en cause. En tout cas, le blocage des rapports des principaux corps de contrôle ne permet pas pour l’instant d’identifier d’autres prédateurs présumés parmi les alliés. Mais ceci ne saurait suffire à les dédouaner. Quel que soit leur degré de responsabilité assumée ou non, les alliés (complices ou lâches), se considérant un peu trop souvent comme les simples accompagnateurs du Gladiateur avec qui ils ne partagent pas une identité de vue idéologique, économique ou autre, sont conscients qu’ils seront historiquement coupables ou comptables parce qu’ils auront fait ou laissé faire.
Le débat actuel sur la prédation et l’accaparement des ressources nationales, ne peut pas être classé au banal registre des passes d’armes entre pouvoir et opposition. Beaucoup de citoyens se montrent de plus en plus sceptiques voire déçus par la pratique du brillant candidat qu’ils avaient plébiscité pour son offre théorique de « gouvernance sobre et vertueuse ». Aujourd’hui, un doute raisonnable est né de l’absence de transparence sur une multitude d’actions et de transactions entreprises sous son magistère. On ne saurait donc ni convaincre ni contraindre Goorgorlu d’accepter que de telles informations soient considérées comme des « secrets » qu’il doit ignorer ou des sujets tabous à ne pas évoquer en public.
Convenons tout de même que la bataille pour la gestion du pouvoir ou de parcelles de pouvoir est toujours complexe, enveloppée de nuages subjectifs dont la charge ne se révèle qu’avec l’avènement de son exercice. Ceci repose toute la pertinence des Assises et nationales et de la CNRI. Les Etats ont nécessairement besoin d’institutions fortes et équilibrées comme dernier rempart pour la préservation des ressources et des acquis démocratiques. Le président Zuma a été contraint par la justice de son pays à rembourser des dépenses jugées illégales même si sa fonction de chef d’état n’a pas été remise en cause. L’historique combattante Dilma Russef et l’immense Lula, au cœur d’un feuilleton politico-judiciaire sont poursuivis pour fraude dans l’exercice de leurs fonctions. La justice vient de rattraper le fraudeur Jérôme Cahuzac en plein exercice le contraignant à une démission avant de le condamner. Malheureusement, elle ne nous offre ni la garantie contre la récidive ni contre celle de la contagion et de la dissémination de la pratique. Les menteurs, les voleurs, les meurtriers et les tricheurs resteront ce qu’ils sont parce qu’aucune loi humaine ou divine ne peut empêcher les ogres de se goinfrer, les charognards de faire la ripaille sur les cadavres chaque fois que l’occasion leur sera offerte.
Fataliste ? Bien au contraire ! Les institutions définissant des cadres réglementaires pour la protection à priori contre les potentielles dérives, et les lois punissant à postériori, ne sauraient suffire sans la disposition et la disponibilité de la mobilisation citoyenne. L’exigence de transparence est intimement liée à la disposition et à la disponibilité sociale et civile du peuple-sentinelle, seul capable de dresser instantanément et opportunément une barrière contre l’imposture et les dérives dès les premiers signes d’alerte. En ouvrant un second front contre ce peuple-sentinelle en interdisant les manifestations à coté de la bataille subjective et crypto personnelle qui vise spécifiquement les potentiels challengers, le règne du Gladiateur prend une nouvelle tournure.
« Dictature rampante » ou « dictature » tout court, la gestion de Ndoumbélaan prend chaque jour des proportions de plus en plus inquiétantes qui font appel à une unité d’action pour inverser la tendance pendant qu’il est encore temps. Mais l’unité d’action contre la mal-gouvernance est rendue ardue par l’impossibilité d’une alliance objective entre d’un coté le pôle civil dont le combat est strictement qualitatif, et de l’autre le pôle de l’opposition politique dont l’ambition est d’affaiblir pour s’accaparer des rênes du pouvoir sans garantie de meilleure offre. Mais ce qui rend suspect et fragile le combat strictement citoyen, c’est surtout la similitude des propos, et aussi la fréquence des acteurs de part et d’autre à franchir une frontière du reste très tenue.
Trop de contentieux subjectifs et objectifs, trop de suspicions ont semé sur le parcours du Gladiateur des germes d’une nouvelle d’une moissonneuse-batteuse sélective programmée pour assouvir une vengeance génétique et ou génocidaire. En maquillant les recommandations de la CNRI, sous la forme d’un référendum électoral, l’ALTERNANCE II, n’a peut être fait que reporter l’indispensable mutation du royaume.
Elle a par-dessus tout, étouffé dans un silence tabou, la réputation d’hommes et de femmes ayant contribué de façon déterminante dans la tenue des Assises Nationales et dont les passés glorieux en faisaient des références.
LES CHRONIQUES DE BANDIA, SEPTEMBRE 2016