LA SANTÉ VA DEVENIR DE PLUS EN PLUS UN ENJEU DES LUTTES SOCIO-POLITIQUES

p1060883

INTRODUCTION

Depuis la période des plans d’ajustement structurel, vers les années 80, qui a marqué la fin définitive de l’Etat-Providence, le système sanitaire sénégalais est caractérisé par une logique de recouvrement de coûts. Cela  a entraîné un désengagement progressif de l’Etat qui a amené les équipes sanitaires à prendre diverses initiatives (recrutements de personnels vacataires, acquisition d’équipements médicaux, achat de médicaments de spécialités non disponibles au niveau de la pharmacie IB, voire travaux de génie civil) sur la base des recettes générées par le fonctionnement des structures.

Cela a conduit à une privatisation rampante de la santé avec des conséquences désastreuses qu’on peut mesurer aux difficultés manifestes de prise en charge des urgences médico-chirurgicales et des maladies non transmissibles surtout chez les couches les plus vulnérables de la société.

Malgré les efforts visant à rendre gratuite la dialyse pour les insuffisants rénaux, la charge morbide d’affections comme les cancers, les maladies métaboliques et cardiovasculaires atteint des proportions inouïes confirmant ainsi la transition épidémiologique en cours face la modicité des moyens mis en oeuvre pour la maîtriser.

EVALUATION DU SYSTEME SANITAIRE SENEGALAIS

Malgré l’existence d’un PNDS (2009-2018), censé déterminer une orientation claire pour le système sanitaire, on ne peut que constater une déficience du leadership gouvernemental en matière de santé, qui fait que les engagements des plus hautes autorités en faveur de l’équité en santé et de la redevabilité ne peuvent être considérés que comme des vœux pieux. On n’a pas l’impression d’être en face de dispositions réglementaires pertinentes. Ainsi, la réglementation de la pratique privée de la médecine connaît des insuffisances notoires, non seulement en rapport avec les autorisations d’exercer dans le privé, mais aussi par l’intrusion de comportements mercantilistes au sein des structures publiques. On note aussi une impuissance avérée devant la publicité faite dans les médias autour de produits nocifs pour la santé (médecine traditionnelle, dépigmentation artificielle, aliments trop sucrés ou trop salés…)

Par ailleurs, on note un manque de maîtrise des pouvoirs publics sur les interventions des donateurs, qui ne sont ni harmonisées ni concertées, aboutissant à une pléthore de programmes verticaux.

On ne peut que déplorer la mal-gouvernance sanitaire avec entre autres, la récurrence des conflits d’intérêts, la quasi-impunité pour les auteurs de fautes de gestion, le non-respect fréquent du code des marchés publics, l’absence d’appel à candidatures pour les postes-clé dans les hôpitaux…

Il y a également l’atteinte aux droits et libertés des prestataires et des usagers censés servir de contre-pouvoir avec le non-respect des principes de la gestion démocratique du personnel, la remise en cause du droit syndical dans certaines structures sanitaires, la vulnérabilité des délégués de personnel et des représentants du personnel au conseil d’administration et le droit à l’information du public souvent bafoué…

Le suivi et l’évaluation du PNDS sont rendus difficiles par la rareté de données sanitaires fiables. Malgré les avancées que constituent les outils tels que le DHIS et l’EDS continue, le SNIS rencontre d’énormes difficultés en rapport en premier lieu avec la difficulté du recueil de données issues du secteur privé. De manière plus générale, on note aussi l’absence ou la non-disponibilité de supports de collecte harmonisés et d’importants gaps dans formation des personnels. La fragmentation du système d’information en sous-entités “programmatiques” liée à l’approche verticale renforce l’inadéquation des données recueillies à l’évaluation des principaux indicateurs du PNDS.

On note, en outre, des lenteurs dans la mise en place de la carte sanitaire censée aider à rationaliser les besoins en infrastructures et équipements de même que l’absence de maîtrise des données sur les ressources humaines, la consommation des intrants, particulièrement celle des médicaments.

Concernant les prestations de services, notre pays est caractérisé par une macrocéphalie, faisant de Dakar, la région la plus petite, celle qui abrite le quart de la population. (personnel concentré à Dakar). Les districts sanitaires, qui jouent le rôle de réseaux de soins de proximité responsables pour des populations définies sont incapables de satisfaire la demande de soins curatifs pour des raisons d’accessibilité pas seulement géographique mais parfois financière et même culturelle. Les usagers urbains font parfois fi de la pyramide sanitaire et du système d’orientation-recours, d’où un engorgement des services spécialisés et hospitaliers.

Il y a également des efforts à faire pour la rationalisation des soins et le respect de normes de qualité, d’innocuité, d’efficacité, d’intégration, de continuité et de soins centrés sur la personne. D’autant que la redevabilité des prestataires vis-à-vis d’usagers de plus en plus informés et exigeants reste problématique face au déficit chronique de moyens. En effet, des difficultés réelles apparaissent, dès qu’il s’agit de mettre en place une offre de paquets de soins répondant à l’ensemble des problèmes de santé de la population, en raison de l’insuffisance des ressources humaines, matérielles et financières et/ou de la faiblesse des plateaux techniques.

Sur le plan des ressources humaines, on observe un déficit chronique de personnels plus accentué au niveau des régions de l’intérieur. Cela est dramatique, même au regard des infrastructures existantes, dont certaines sont fermées (postes de santé) ou peinent à ouvrir leurs portes, mais l’est encore plus, quand on prend en compte la nécessité de la planification et de la régulation de l’offre de soins censée croître avec le développement graduel de la CMU.

De fait, devant le nombre dérisoire d’agents formés par l’ENDSS, on assiste de plus en plus à une floraison d’écoles de santé privées, qui sont loin de satisfaire aux normes régissant le secteur. Cela se traduit par une pléthore de diplômés d’écoles, à côté d’un nombre restreint de diplômés d’Etat, avec toutes les conséquences prévisibles sur le plan de la qualité des soins.

La collecte des données sur le financement de la santé en est encore au stade de balbutiements, ce qui entrave une allocation pertinente des ressources aux structures sanitaires et une analyse objective des obstacles financiers à l’accès aux services de santé. C’est ce qui rend d’autant plus problématique la mise en œuvre de la couverture médicale universelle, censée préserver les patients des difficultés financières et des dépenses catastrophiques. De fait, non seulement les budgets gouvernementaux restent insuffisants mais le partage des risques financiers entre les différents groupes de populations se fait de manière empirique.

Au niveau de la Pharmacie Nationale d’Approvisionnement censée avoir le monopole de l’approvisionnement des structures sanitaires en médicaments essentiels, on voit apparaître des ruptures de stock itératives dues à des problèmes de quantification des besoins et de délais de livraison, partiellement liés au Code des marchés publics. Par ailleurs, les structures sanitaires rencontrent, pour la plupart d’entre elles, de sérieuses difficultés à disposer de réactifs de laboratoire, consommables et intrants en quantité et en qualité voulues, essentiellement à cause de trésoreries chroniquement déficitaires.

On note aussi une absence de cohérence de la politique du médicament avec inondation du marché par une pléthore de médicaments de spécialité. De même, il faut déplorer l’absence d’un système d’approvisionnement et de distribution qui garantisse l’accès universel à des produits médicaux et des technologies sanitaires essentiels, par des moyens publics et privés et qui privilégie les pauvres et les personnes défavorisées.

QUELLES PERSPECTIVES DE SORTIE DE CRISE ?

Nous nous permettons d’énumérer quelques mesures qui, sans être exhaustives, peuvent aider à améliorer la politique sanitaire de notre pays:

  • Renforcer le leadership des autorités du MSAS
  • Harmoniser les interventions des Partenaires Techniques et Financiers
  • Définir des critères pertinents d’allocation des budgets de fonctionnement des structures socio-sanitaires
  • Assurer une responsabilisation réelle des professionnels de l’Action sociale au niveau des districts et EPS
  • Définir clairement les prérogatives des différents acteurs des systèmes locaux de santé, en rapport avec la décentralisation et la participation communautaire
  • Assurer l’implication accrue des travailleurs et des usagers dans la gestion des structures sanitaires
  • Revaloriser les exercices de planification au niveau des centres de responsabilité que sont les districts et les établissements publics de santé
  • Mettre en place au niveau opérationnel de ressources destinées aux programmes préventifs et promotionnels (santé communautaire, communication pour le changement de comportement…)
  • Renforcement des capacités techniques et administratives ainsi que les ressources humaines, matérielles et financières des collectivités locales pour leur permettre de prendre correctement en charge la compétence Santé et Action sociale
  • Prendre des dispositions pour avoir, des effectifs suffisants dans les différentes catégories de personnel.
  • Discuter de la faisabilité de mesures incitatives adéquates et de la mise en place des mesures réglementaires pour une répartition du personnel couvrant l’ensemble du territoire national.
  • Profiter des opportunités offertes par la Réforme Hospitalière et les lois de la Décentralisation pour procéder, au niveau local, à des recrutements nécessaires et non politiciens
  • Procéder à une régionalisation des postes budgétaires pour remédier à l’exode des agents de santé vers Dakar et les grandes agglomérations urbaines.
  • Concernant la politique du médicament :

– Etablir de manière plus rigoureuse des listes nationales de médicaments essentiels, des protocoles nationaux de diagnostic et de traitement et du matériel standardisé pour chaque niveau de soins,

– Améliorer le système de réglementation des produits médicaux couvrant les autorisations de mise sur le marché (lenteurs bureaucratiques)

  • Perfectionner la réforme hospitalière en affinant les profils des postes-clé, en allégeant l’appareil administratif, en revoyant la composition du conseil d’administration, qui devra être plus représentatif avec une plus grande présence des travailleurs et des usagers et en allouant des ressources financières suffisantes, selon des critères pertinents et prédéfinis
  • Améliorer la gouvernance sanitaire par les mesures suivantes : mise en place de mécanismes de dissuasion contre les conflits d’intérêts, sanctions plus sévères contre les auteurs d’erreurs et de fautes de gestion, respect scrupuleux du code des marchés publics
  • Instaurer une gestion démocratique du personnel
  • Garantir le droit syndical dans toutes les structures sanitaires
  • Garantir le droit à l’information du public
  • Assurer la protection accrue pour les délégués de personnel et les représentants du personnel au conseil d’administration
  • Garantir  l’implication des communautés dans la prise en charge de leur santé, depuis la planification jusqu’au suivi-évaluation, en passant par la mise en œuvre.

Ce sont toutes ces raisons qui justifient la nécessité de la mise en place d’une vaste alliance des divers groupes socio-professionnels intervenant sur les problématiques sanitaires comme contrepoids aux orientations hasardeuses des pouvoirs publics.

%d blogueurs aiment cette page :