ICARIUS SENEGALENSIS OU LA SOCIÉTÉ CIVILE FACE A LA POLITIQUE


Par Bassirou S. NDIAYE dit BANDIA

La critique des faits et gestes de nos représentants (politiques, culturels, sportifs, religieux etc.) peut nous valoir une certaine sympathie populaire.  Proposer de les remplacer ne manquera pas de poser un débat. Se proposer ou se poser en postulant engendrera forcément des critiques et des inimitiés justifiées. Le patriotisme d’un supporteur, la compétence avérée d’un analyste ou d’un technicien sportif ne suffit pas à faire de lui un compétiteur de choix. C’est pourquoi, l’idée de voir une partie de la société civile en tant que telle, aller à l’assaut des électeurs serait une grossière aberration, une faute politique à ne pas commettre.

Les humeurs de la société civile épousent bien celles du peuple, déçu par ceux en qui il avait confiance, ou conforté dans ses prévisions que les héritiers de l’Empereur sont des médiocres et des malfaisants dangereux. Mettre fin à leur règne ou les empêcher de continuer comme un cancer à ronger nos valeurs culturelles et morales, nos ressources est une demande sociale qui ne souffre d’aucune ambigüité. Mais comment les arrêter et par qui les remplacer ?

Aujourd’hui, la communauté conjoncturelle d’intérêts entre la société civile et les postulants à la conquête et à l’exercice du pouvoir rend opportunément possible des échanges de civilités. Est-il possible pour autant d’envisager un compagnonnage structurel ou un divorce né de la volonté de la société civile d’aller à l’assaut des suffrages des citoyens ? Acteurs non partisans, comprenez n’ayant pas pris parti pour un parti politique, la société civile va-t-elle prendre le pari fou de la conquête et de l’exercice du pouvoir ? Quelle lecture faire de ses sermons attrayants et, oh combien, mobilisateurs d’un peuple déçu et abusé par une classe politique moribonde aux valeurs décadentes ? Animée par la quête de la vérité et de la justice ou grisée par l’applaudimètre d’un peuple qui en a marre, la société civile ne risque-t-elle pas de se brûler forcément les ailes comme Icare, si elle tentait d’aller à la conquête du pouvoir ou aspirait à son exercice ?

Mais qu’est-ce que la société civile ? Généralement admise comme la frange de la société qui n’a pas pris parti pour un parti politique, elle désigne au moins deux pôles distincts.

Il y a d’abord la société « civile en soi ». C’est cette frange de la société, libre et libérée de tout contrat moral de fidélité à des formations politiques. Volontairement ou involontairement en marge de l’agitation partisane inconditionnelle pour des raisons diverses, elle ne s’identifie point comme un bloc régi par des règles de conduite partagées par l’ensemble de ses membres. Son choix relève de convictions personnelles.

Il y a ensuite ”la société civile pour soi”, composée d’individualités et de collectifs (appartenant à des organisations) apolitiques dont la non-appartenance à des partis politiques relève plus généralement d’une volonté assumée de démarcation par rapport à ce qui est considéré comme un enrôlement moral et réducteur de leur libre arbitre. Majoritairement très instruite et engagée dans des secteurs jugés insuffisamment pris en charge par les pouvoirs publics (droits humains, environnement, santé, pauvreté etc.), la société civile pour soi, sans être porteuse d’un “projet de société”, revendique, “un état de société”.

C’est la frontière ténue, entre l’état de société et le projet de société qui bascule souvent et projette des candidats issus de la société civile dans la conquête du pouvoir politique. L’expérience des mouvements écologistes particulièrement en Europe, prouve qu’aucune frange de la société civile n’a réussi le pari sans renier un ensemble de valeurs fondatrices, synonyme de rupture avec sa base affective. S’engager dans la lutte pour la conquête et l’exercice du pouvoir, à titre individuel ou collectif, est synonyme de reniement des valeurs de la société civile. Les associations et individualités issues de la société civile qui ont franchi le pas ont généralement été excommuniées par de nouveaux mouvements et individualités sortis de leurs flancs.

Le politique, en général, et le candidat à la pêche aux voix en particulier, ont une claire conscience de ces deux pôles. Conséquemment ils ajustent leur approche et la modèlent en fonction de leur cible.

Or, la société civile en soi, est généralement une cible passive n’engendrant pas de débat contradictoire. Ne disposant pas de suffisamment de ressources techniques, intellectuelles et autres, elle peut être happée par la nasse sous la forme d’un discours séduisant, d’un show médiatique, ou d’un geste humanitaire. Elle peut succomber à des présents matériels ou à une affection sentimentale.

La société civile pour soi est, quant à elle, perçue dès l’origine comme un concurrent potentiel, pour deux raisons :

  1. Elle dispose de suffisamment de ressources et de capacités matérielles (supports audiovisuels), humaines et intellectuelles pour analyser les offres et brouiller le champ de tir des candidats.
  2. Elle est en mesure dans certaines conditions (même critiquables), d’endosser une tenue de combat pour accompagner les prétendants à la conquête du pouvoir politique qui s’engagent à enrôler leurs désirs dans leurs programmes.

Généralement humanistes, ils apparaissent aux yeux des politiques comme des utopistes qui demandent l’impossible. C’est peut-être pourquoi, même en dehors des échéances électorales, beaucoup de gouvernants en difficulté s’acharnent à la qualifier de porte- voix de partis politiques souterrains.

Le danger serait une trop forte implication assimilable à un parti pris alors que les honorables citoyens font d’elle le porte-parole averti et impartial n’ayant jamais été impliqué directement dans la gestion des affaires publiques.

C’est en bien la position d’externalité par rapport à la chose politique qui fait de la société civile un mirador à partir duquel l’alarme peut être actionnée à chaque fois que de besoin. Une prise de parti supposée ou réelle, ne serait donc pas de nature à faciliter sa tâche de juge éclairé et ayant pour but l’effectivité d’un état de société propice. C’est pourquoi l’allusion à « la mare aux crocodiles » évoqué par la presse de Ndoumbélaan pour qualifier le terrain de jeu des partis politiques doit être prise comme un avertissement à prendre au sérieux. « Ku ndobin rey sa maam…. » .

Les chroniques de Bandia, avril 2017


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