par Bassirou S. NDIAYE
A quelques mois des prochaines législatives et non moins déterminantes pour les élections présidentielles, le coude à coude de plus en plus évident entre la majorité et ses adversaires, perturbe le sommeil du « lion qui dort ». Le Gladiateur qui avait dans son programme de « réduire l’opposition à néant », plus certainement pour s’assurer un second mandat que pour l’intérêt de la démocratie à Ndoumbélaan, n’a manifestement pas encore atteint son objectif. Jusqu’ici grouillante comme un banc de poissons sans hiérarchie et sans direction, l’opposition semble décidée à changer de stratégie en direction des prochaines échéances. La coalition « suppu kanja », assimilée à un wagon de marchandises sans âme et sans identité accrochée à sa locomotive, n’est pas du tout préparée pour affronter un tel adversaire. C’est peut-être pourquoi, le Gladiateur s’apprête à « lever le coude » (humanitaire ?) sur le scandale du « festival de danse » qui avait couté quinze milliards aux Goorgorlus.
Une telle décision louable sur la forme, serait opportunément condamnable sur le fond. On voit mal en effet, notre justice qui a dormi pendant six longues années à coté de ce dossier mis « sous le coude », s’acharner brusquement sur la fille de l’Empereur déchu, sans apparaitre comme un chien de garde condamné à ronger des os qu’on lui lance ou à se jeter sur les proies qu’on lui désigne. Il est d’ailleurs envisageable que d’autres dossiers insoupçonnés « sous le coude » fassent leur apparition pour répondre aux désertions ou aux volontés multiples d’alliés, tentés d’aller renforcer l’autre camp.
Vindicatif et/ou bon maître chanteur, le Gladiateur donnerait de plus en plus l’impression désolante d’un mégalomane qui ne recule devant rien pour parvenir à ses fins. L’agitation apparemment isolée du maton en chef de la caserne des étudiants, pourrait bien être un élément de cette stratégie. Il n’a certainement pas encore digéré la gifle que lui avaient administrée les frondeurs professionnels du haut temple du savoir de Ndoumbélaan, même s’il avait bien fini par se résoudre à « mettre sous le coude » une plainte insensée pour « tentative d’assassinat du Président de la République » contre des étudiants qui s’étaient opposés à sa présence politique dans le campus. La nouvelle directive du Grand Sachem aux multiples casseroles « sous le coude », interdisant désormais toute manifestation politique sur le campus, rentrerait donc dans cette logique. Suffira-t-elle à mettre sous scellées les humeurs et les frustrations de ses pensionnaires et à neutraliser la volonté de changement d’une jeunesse dont ils sont une partie de l’élite ?
- S’il s’agit de juguler les protestations adressées à son mentor, cette mesure risque de les décupler ;
- Si c’est une loi du talion leur interdisant ce qu’ils ne lui permettent pas de faire, c’est une réponse inadéquate et inopportune ;
- S’il s’agit d’un désir sincère (même utopique) de soustraire les étudiants au climat social de plus en plus vicié, on ne pourrait que le soutenir non sans lui apporter quelques objections.
Les manifestations politiques à l’intérieur du campus, ce sont les prolongements des enseignements de philosophie, d’économie, de sciences politiques, de santé, de droit, etc., reçus dans la journée au niveau des facultés. Ce sont les travaux pratiques et dirigés de La République de Platon au Capital de Karl Marx, des théories de Sigmund Freud à Keynes, de la colonisation à la néo colonisation avec les résistants et les résignés, les héros, les martyrs et les collabos. Les manifestations politiques au sein du campus c’est la critique (peut être puérile), de la position du gouvernement sur la gestion de la santé publique, la répartition des biens de la nation, nos options diplomatiques etc.…. Les manifestations politiques au sein du campus, c’est l’exposé d’un roman ou de toute autre publication politique ou culturelle fut-elle censurée. Le campus est donc un lieu d’expression de la politique.
Vous comprendrez d’ailleurs en regardant autour de vous que l’apprentissage de l’exercice du pouvoir se fait au campus, bien plus qu’à l’intérieur des facultés. Vous remarquerez tout autant que les lanceurs de cocktails Molotov de1968 sont devenus d’imminents chercheurs, des sénateurs, des académiciens, des références et des guides sociaux. A Ndoumbélaan, les grands agitateurs des années 1980 ne sont-ils pas déjà en passe de prendre le pouvoir, tout le pouvoir.
Faut-il rappeler à ce grand Manitou, qu’il ne dirige ni un état sous une loi martiale, ni un camp de concentration. Le campus est le lieu de convergence des états d’âme de la société auxquels viennent se greffer des revendications plus spécifiques liées à leurs conditions d’existence et à leurs visions du monde. Gérant d’un creuset social, seule sa compétence peut lui permettre d’amortir les chocs et de le mettre à l’abri des contingences des Goorgorlus en y créant un ilot d’exception. Ce ne serait d’ailleurs qu’une condition nécessaire mais pas forcément suffisante. On ne peut pas sortir la politique du campus sans un consensus avec :
- Le clergé et les groupuscules religieux qui prêchent pour un type de société donc une politique ;
- Les partis politiques tuteurs assurant bourses et soutiens multiformes à des jeunes laissés pour compte par l’état ;
- Les artistes plasticiens, musiciens, les écrivains, qui véhiculent aussi une idéologie politique.
De toute façon, un tel climat sera forcément le résultat d’un large consensus national impliquant tous les acteurs politiques, civils et religieux.
Si le Grand Sachem ne peut pas convaincre son mentor d’inscrire ce point à son fameux dialogue national, il ferait mieux de le mettre « sous le coude » ou de l’enterrer au cimetière de l’émergence juste à coté des rêves de déçus Goorgorlu.
Les chroniques de Bandia, Mai 2016