Leçon inaugurale sur Sembène Ousmane par Maguèye Kassé

Monsieur le ministre de la Culture,

 Mesdames et messieurs,

Chers amis, chers invités

Permettez moi tout d ‘abord de remercier mes amis de m ‘avoir choisi pour présenter cette leçon inaugurale à l’occasion de la célébration des 10 ans de la disparition d’Ousmane Sembene.

Le thème du colloque international qui démarre aujourd’hui, Littérature, cinéma, lectures du legs pluriel de Sembene Ousmane ne pouvait être mieux choisi pour apprendre de nouveau de l’œuvre de ce monument de la littérature et du cinéma africains.

Vous avez réuni beaucoup de spécialistes de l’œuvre de Sembene Ousmane qui nous promettent de fécondes réflexions. Je voudrais souligner ici l’importance  que cette manifestation scientifique peut et doit représenter pour la jeunesse africaine qui devrait se reconnaître en Sembene et s’identifier à son message, lui qui n’a eu de cesse de mettre en avant sa foi en cette couche, vulnérable et porteuse d’avenir. Notre jeunesse est en proie au doute, souvent à la desespérance face à des stratégies politiques qui les laissent souvent en rade, face à des gouvernances loin de leurs préocupations. Je voudrais partager avec elle cette leçon du grand dramaturge Bertolt Brecht dans sa lutte contre l’infamie et la barbarie, la gouvernance criminelle du régime nazi, leçon prononcée lors du 1er Congrès des écrivains pour la défense de la culture tenu à Paris et  en 1935 et ramassée dans son célèbre texte que j’aime souvent citer : Cinq difficultés pour écrire la vérité de 1939. Selon Brecht, il faut avoir avoir le courage d’écrire la vérité, l’intelligence de reconnaître la vérité (qui n’est pas une question morale),l’art de faire de la vérité une arme efficace, le discernement pour choisir ceux entre les mains de qui la vérité devient efficace et la ruse pour répandre la vérité parmi le grand nombre. Brecht de conclure que :

« Ce qui importe avant tout, c’est qu’une pensée juste soit enseignée, à savoir une pensée qui interroge les choses et les évènements pour en dégager  l’aspect qui change et que l’on peut changer »

Cette leçon a été assimilée dans la pratique par Sembene dans une quête permanente de vérité pour indiquer la voie à suivre, si nous voulons résoudre les multiples contradictions que le continent africain doit nécessairement dépasser.

Le germaniste que je suis voudrais souligner tout l’intérêt que cela représente  dans le cadre des études germaniques interculturelles dans lesquelles nous trouvons confirmée la fructueuse idée du géant de Weimar, Johann Wolfgang Goethe, d’une « Littérature mondiale » qui part du local au global pour tendre vers l’Universel, rapprocher des cultures différentes et créer une communication interculturelle, parce que partageant les mêmes valeurs d’humanisme. Léopold Sedar Senghor ne s’y était pas trompé, lui qui reconnaissait tout ce qu’il devait à Goethe dans sa formulation de sa « Culture de l’Universel ».  Dans la même lancée, l’œuvre littéraire de Sembene a atteint l’universel dans les nombreuses et variées traductions qu’elle a connues dans différentes langues étrangères et donc différentes cultures qui en soulignent des signes d‘appartenance à une même culture de progrès au service de l’humain. On en trouve l’explication dans une herméneutique du discours sembenien notamment dans l’articulation qu’il opère entre  le local et le global mais en allant plus loin dans l’identification de la dialectique, c’est à dire ensemble des contradictions socio-économiques, qui lie   ces deux éléments depuis la rencontre  forcée, intéressée et  à vaste échelle entre l’Afrique et singulièrement l’Europe. Les deux éléments ont induit un commerce particulier dans le sens primitif du terme entre deux continents, de même qu’ils ont fait émerger une configuration asymétrique de type périphérie et centre. Le projet de Sembene peut s’interpréter dès lors comme un processus de déconstruction de discours et de recours à des convergences pour proposer des alternatives qui dépassent au sens hégélien des antagonismes nés de la confrontation d’intérêts fondamentalement divergents. L’affirmation de l’universalité de l’Homme se trouve confortée également dans la recherche de son bien être servi par des sociétés dans lesquelles on note les mêmes tendances vers le progrès social. Ces sociétés doivent être débarrassées des antagonismes nés d’une inégale répartition des richesses produites par le travail des hommes, donc de classe in fine. L’actualité de cette thèse est confirmée par le très beau film de Raoul Peck présenté à la 67ème édition du Festival international du film de Berlin (Berlinale) cette année et partout depuis sa sortie  avec un grand succès mettant en relief l’actualité et les leçons de ce penseur hors pair, Le jeune Karl Marx et ses thèses  produites avec Engels sur la condition des travailleurs de Manchester, prélude à une analyse rigoureuse de l’histoire des sociétés humaines.

Affirmant cela, je reviens à ce qui a positivement et nettement influencé Sembene dans sa création d’où le monde germanique et les lettres allemandes ne sont pas absentes, en particulier la philosophie marxienne et l’approche esthétique du dramaturge allemand Bertolt Brecht qui a révolutionné le théâtre contemporain. On note le succès de ce choix esthétique, notamment ce qu’on appelle le Verfremdungseffekt ou « Effet de distanciation » de même chez le Prix Nobel de littérature Wole Soyinka et son Opera Wonyosi inspiré de l’Opéra de quatre sous de Becht. Cette manière d’interpréter le fait littéraire à partir des phénomènes de société nous a permis, dès le départ, d’orienter pour leur donner sens, l’enseignement et la recherche  en sciences humaines d’un point de vue inter et transdisciplinaire qui englobe les sciences sociales, économiques et juridiques. Les travaux de Michel Foucault et Jacques Derrida,  pour ne citer que ceux-là y aident également beaucoup dans les questions qu’ils sucitent. Ce choix nous conduit avec mes collègues à nous intéresser à tout ce qui est produit dans la culture entendue au sens large et Sembene en offre une belle opportunité. Ma fréquention de ses œuvres m’a du reste conforté dans cette voie.

Leçon inaugurale autour des lectures du legs pluriel de Sembene Ousmane a- t- on dit. Je comprends cet exercice dans une acception que je fais mienne de « leçon » comme renseignements pluriels profitables et enseignement tout à la fois. Que découvre t–on encore chez cet auteur/orfèvre singulier de la littérature africaine, doublé d’un artiste /peintre des réalités sociales de son temps, s’érigeant du même coup en critique d’art. Chez lui, en effet, l’art a une fonction sociale et politique importante ; il véhicule une idéologie en tant que référentiel et marque distinctive d’époques chargées.

On ne le souligne plus assez dans toute critique et explicitation faites de l’œuvre riche et variée de cet écrivain cinéaste, autodidacte. Sa démarche s’est inscrite de tout temps et depuis sa formation, rappelons le, dans l’investigation du réel en vue de sa transformation. Elle s’est inspirée fondamentalement de Marx et de sa philosophie de l’histoire. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le premier Etat allemand né des cendres du fascisme l’avait élu membre de l’Académie des Arts de la République démocratique allemande, a traduit et publié, le premier dans l’espace germanophone, les œuvres littéraires de Sembene et pour la première fois, avant sa parution en français, sa nouvelle, Niiwam adapté plus tard au cinéma par Clarence Delgado.

A l’instar des différentes manifestations autour des 10 ans de la disparition de Sembene et pour montrer comment sa pensée est d’une brûlante actualité, des initiatives sont prises également en Allemagne en ce moment pour tirer des leçons de sa création littéraire et cinématographique. La revue Melody und Rhythmus publiée par les éditions 8 mai à Berlin lui consacre un article fort instructif dans sa livraison de novembre/décembre 2017, de même la prochaine Conférence Internationale Rosa Luxemburg organisée à Berlin par plus de 30 organisations de divers horizons en janvier prochain dont le thème porte sur l’Afrique entend –t- elle puiser dans les leçons tirées de l’œuvre de Sembene pour comprendre les dynamiques actuelles en Afrique. Rappelons la proposition récente d’un Plan Marshall à l’initiative de l’Allemagne fédérale pour juguler l’émigration clandestine des jeunes Africains vers l’Europe.

Affirmant cela, je voudrais continuer dans la même lancée à afficher la couleur comme on dit familièrement : l ‘engagement de Sembene Ousmane est producteur de sens dans toutes les acceptions du terme dans une vision marxiste de transformations sociales dont l’avènement est, à bien des égards, tributaire, et de manière contradictoire, de passages qualitatifs douloureux et non encore achevés dans des contextes qu’il s’agit d’élucider, dans une esthétique propre à ce parti-pris idéologique de départ.

Qu’est ce que cela signifie concrètement aujourd’hui et quelles leçons continuons   nous à en tirer à des moments où l’idéologie dominante d’oppression à multiples facettes fait croire, sous différents artifices, à une « fin de l’histoire » ou à un inévitable « choc des civilisations ».

 La chute du mur de Berlin a eu, entre autres conséquences, de proclamer à cors et à cri la mort des idéologies  dans de savants exercices  autorisant à vanter les mérites du capitalisme et de l’économie de marché dans leur version néolibérale, les avantages d’un système d’exploitation des travailleurs, de délocalisation d’entreprises,  de dérégulation des marchés avec le pillage accéléré des ressources des pays sous développés, le tout accompagné pour ces derniers de politiques d’ajustement structurel, de chômage accéléré  des couches les plus vulnérables,  d’hypocrites politiques d’aide au développement et son corollaire, l’émigration clandestine des ressources humaines les plus précieuses, notamment la jeunesse et la fuite des cerveaux.

 C’est dans ce contexte préparé par des siècles d’exploitation du continent africain, la déportation de millions de ses fils au travers du commerce triangulaire, la colonisation, les luttes multiples des peuples colonisés depuis la Conférence de Bandoueng de 1955, les répressions féroces des années 50, la revendication de l’indépendance immédiate dont l’Harmattan et le Manifeste histoirique du Parti Africain de l’Indépendance de 1957 se font l’écho, de même que les déceptions de la  période post coloniale, que la prise de conscience de Sembene s’opère. Elle prend des dimensions politiques, sociales, culturelles et idéologiques dans les contradictions de la construction d’Etats nations dans lesquelles l’ancienne puissance coloniale, notamment la France,   entend continuer d’exercer une domination sans partage et dans tous les domaines, dans la marche des institutions, au plan de sa langue et de sa culture dominantes du système scolaire etc… Elle commence dès le jeune âge avec le refus de l’injustice manifestée à travers des actes de courage dont les biographes se sont largement fait l’écho, se prolonge avec le contact et la confrontation directe et plein d’enseignements avec les instruments de l’oppression (armée, système d’exploitation des travailleurs chez les dockers de Marseille et l’écho de la grève des cheminots de Thiès en 1947 etc..) et aboutit à un  engagement sans faille en faveur des  couches sociales défavorisées,  exploitées et victimes d’un système inique dans lequel la lutte des classes s’offre comme seule alternative, entrainant celle pour la libération de l’Afrique pavée des corps des meilleurs fils de ce continent martyr, sacrifiés à l’autel du  dieu profit, sans morale ni mesure, de Patrice Lumumba à Thomas Sankara et la répression de toute forme de contestation de l’ordre établi.

Le thème qui m’a été proposé me permet, au travers de nombreuses publications consacrées à Sembene et à son œuvre d’en faire ressortir des éléments qui nous poussent davantage à réfléchir sur nos situations africaines soumises à rude épreuve pour tracer enfin la voie à un développement à visage humain.

Je parlerai de l’intertextualité comme élément important de nouvelles lectures, de nouvelles approches d’explication du texte de Sembene, thème qui sera repris dans les communications proposées, de l’intermédialité dans le cinéma de Sembene comme tehnique d’accompagnement de la narration filmique, du rire pour bien faire comprendre la richesse, l’intentionnalité, c’est à dire relation active de l’esprit à un objet, ici les situations et les réalités sociales complexes de nos sociétés africaines prises dans leur dynamique interne et l’esthétique de Sembene. Sembene place au cœur de sa démarche l’Homme au sens où Lucien Sève le définit, reprenant Marx et son projet politique disant que sous l’Homme, il y a essentiellement l’ensemble des rapports sociaux. Sève le souligne à la suite de Marx dans une lettre de décembre 1846 à Annenkov: « L’histoire sociale des hommes n’est jamais que l’histoire de leur développement individuel, soit qu’ils en aient la conscience, soit qu’ils ne l’aient pas. Leurs rapports matériels forment la base de tous leurs rapports. Ces rapports matériels ne sont que les formes nécessaires dans lesquelles leur activité matérielle et individuelle se réalise »[1]. Conscient de cela , de par son vécu et sa formation syndicale et politique auprès de la Confédération Générale des Travailleurs(CGT) et  du Parti communiste Français, le parti des fusillés de la Résistance à la barbarie fasciste allemande, Sembène, pour répondre aux questions de son temps, choisit l’écriture de manière réaliste sans pénétrer sans doute l’ensemble des phénomènes qui caractérisent l’histoire du réalisme dans la littérature. Rendre compte de la réalité en l’analysant dans ses dynamiques fondamentales et ses lignes de force qui masquent, voire mettent en relief l’oppression ou l’exploitation tout en dévoilant les conditions de leur dépassement, voila le trait fondamental qui traverse tout le réalisme. Sembene n’en perçoit pas moins l’essentiel de manière empirique et par choix esthétique. Les différentes controverses ont montré, du reste, la complexité et la richesse tout à la fois autour de la mise en oeuvre de l’écriture réaliste. Fred Fischbach le note dans son Essai sur Lukacs, Bloch, Eisler[2], reprenant la conception d’Ernst Bloch « Si la littérature est effectivement une forme particulière du reflet de la réalité objective, il importe qu’elle appréhende cette réalité telle qu’elle est effectivement constituée, elle ne peut pas se limiter à reproduire l’immédiateté des phénomènes. Si l’écrivain vise une appréhension et une représentation de la réalité telle qu’elle est effectivement constituée,  s’il est vraiment un réaliste, le problème de la totalité objective du réel pourra jouer un rôle déterminant“[3] (souligné dans le texte). Sembène réussit cet exercice de saisir la totalité objective, de l’analyser avec soin pour en délimiter les lignes de forces, celles qui déterminent tout, mais surtout le processus qui a conduit à des situations à analyser pour en tirer la conclusion de la nécessité de leur transformation. Cette transformation se fait avec des moyens techniques que révèle  l’écriture dans les œuvres littéraires: poésie comme on en trouve dans ses romans et dans ce qu’il a laissé à sa mort, non encore expertisé et publié,  théâtre avec la mise en scène des Bouts de bois de Dieu par lui même et Raymond Hermantier en 2000 et cinématographiques. Nous pouvons nous appuyer à nouveau sur une remarque de Fischbach pour cerner l’approche marxiste de Sembène pour réfléchir la réalité dans le rapprochement opéré entre Hans Eisler et Ernst Bloch : « Nous assistons d’ailleurs dans la peinture, la musique, la littérature, au théâtre, au cinéma à un nombre croissant de tentatives pour, avec les moyens les plus hardis, plaider la cause des masses et la faire avancer. L’art de la véritable avant –garde ne veut pas se séparer de la vie quotidienne, il veut au contraire s’en emparer, la comprendre, la transformer. Déjà l’expérience le prouve avec les nouveaux moyens artistiques. On approche la conscience sociale des masses au point que le haut niveau n’est plus ressenti comme un obstacle, mais qu’au contraire, il donne toute sa force d’impact à l’œuvre d’art. L’artiste d’avant-garde peut ainsi briser le cercle qui faisait de la culture un monopole de la bourgeoisie et devenir véritablement un homme de son temps ».[4]

Parlant plus haut de l’Homme dans la conception que Marx en a, on aurait pu y ajouter le « naturalisme » de Marx et sa critique des valeurs : „les valeurs reposent toujours sur la vie et non seulement sur des intérêts de classe“[5]. Ceci nous amène, au delà des techniques formelles de narration (utilisation du français comme langue d’écriture et critique implicite de sa présence pesante, négativement opératoire dans le vécu des Africains aliénés et dans l’empreinte durable sur les mentalités), à nous pencher sur des éléments déterminants dans les réalités sociales. Ces éléments sont basés sur des valeurs nouvelles qui obèrent le développement par la concussion, obscurcissent les consciences et leur impriment des marques négatives dans les rapports sociaux. C’est par exemple et fondamentalement, le rôle dévolu à l’argent dans le processus d’accumulation capitaliste. Ce rôle est, entre autres, défini dans la critique que Sembène fait à sa place et à ses modes d’acquisition, en référence également à des notions de morale et d’éthique. Ces dernières sont mises en lumière dans son écriture par rapport à ce qui les valorise et en même temps, sans rupture consciente, les dévalorise dans le processus d’accumulation du capital à tous les niveaux et strates de la société et des rapports sociaux tel que Marx, à nouveau, met le phénomène en relief et le critique pour en saisir l’essence. Chez Marx, en effet, l’éthique a son origine dans la vie-y compris socio-historique; elle exprime les différentes formes sous lesquelles celle-ci se valorise. Elle a un contenu matériel. Je prends exemple sur des réflexions que j’ai déjà menées à la première publication en allemand de Niiwam[6]. Se rendant compte des effets de l’argent sur nos sociétés, Sembene en dénonce les éléments pernicieux dans l’acquisition des biens matériels, la seule et unique aune à laquelle on mesure la réussite sociale qui vaille, la fabrication et l’introduction de nouvelles valeurs que procure l’argent. Il est devenu règle et norme de vie. L’argent effrite l’esprit communautaire et installe le parasitisme. C’est la valeur négative de référence par excellence. Le traitement qu’il fait subir à ce thème/motif dans la plupart de ses œuvres, met en évidence, à côté d’autres thèmes, le parti pris de Sembène de puiser dans les ressources culturelles qu’il oppose au phénomène pour atteindre plus facilement ses lecteurs.

C’est dans cette approche qu’il me semble intéressant d’avoir une nouvelle lecture de l’œuvre de Sembène qui intègre des phénomènes d’intertextualité dans certaines définitions et acceptions, tout comme les champs qu’elle recouvre dans les techniques narratives. Il s’agit de montrer comment cette notion trouve un répondant fécond dans la perspective d’effet miroir de la littérature. En cela Sembene répond par anticipation aux multiples interpellations et idées autour de ce concept dans les sciences littéraires par sa démarche esthétique. Il fait apparaître un type d’écriture qui confère à la production du texte et à ses rapports avec des textes antérieurs une portée culturelle, sociale et politique.  Ce style et ce type de discours amènent des critiques à l’assimiler à la l’oralité feinte[7] avec des schémas d’explication anthropologique, psychologique, philologique et idéologique.

La critique littéraire intègre comme un élément important dans le procédé d’écriture de Sembène les interférences linguistiques liées à la diglossie. Ce bilinguisme se manifeste avec l’ossature que constitue l’oralité dans la production de Sembene et dans la forme que revêt sa forte présence dans le récit et le style narratif qu’elle lui imprime. Ce faisant, elle laisse apparaitre une littérature populaire, riche et particulière dans le sens que Johann Gottfried Herder donne de la poésie populaire, „la voix des peuples en chanson“, celle qui leur permet d’exprimer leur vécu sous toutes les formes et qu’ils partagent en commun; c’est ce qui produit une universalité et une littéraure mondiale. Ainsi, peut-on, sans conteste, en déduire des aspects intéressants.

Les occurrences du Wolof, en effet, empruntent beaucoup aux expressions littéraires qui font l’âme du peuple: proverbes, dictons, contes, allégories, parabole, métaphore, en somme une utilisation consciente des ressources linguistiques du terroir en plus de celle d’un arsenal métalinguistique pour mieux atteindre son public partiellement ou totalement illettré dans une lingua franca étrangère à son substrat culturel. Ismaïla Diagne nous en donne d’ailleurs un aperçu intéressant dans son ouvrage : Lire et relire Sembene Ousmane[8]. Les métaphores, les périphrases, les grossissements, les aphorismes puisés dans les langues nationales, tout comme les proverbes et maximes, les symboles, comme le masque occupent une place dans la narration avec des effets propres au symbole. C ‘est l’interprétation que l’on peut donner de même au Xala, titre éponyme du roman, qui occupe une place centrale dans la narration en sortant de son contexte culturel et des croyances liées à ses manifestations dans la société wolof. Tous ces emprunts et procédés narratifs incitent à réfléchir, à faire corps avec le récit et à se l’approprier.

C’est en partant de là qu’on peut mettre en exergue la signification de l’intertextualité chez Sembène. Il y a d’abord l’importance et la portée des langues africaines comme le Bambara ou le Wolof, riches à la fois dans leur fréquence dans le texte tout en en soulignant l’intérêt, la portée et la dimension morale et sociale et enfin ce qu’elles représentent comme réponse et repère face à une aliénation culturelle subie et à laquelle il s’agit, dans le récit, d’apporter des réponses adéquates. Dans ce cadre, le texte est serti d’allusions à portée sociologique et sociohistorique de nette différenciation et de refus de processus d’aliénation continue.

On peut lister un certain nombre de techniques qui peuvent mettre en relief des phénomènes d’intertextualité. Il s’agit des allusions, comme l’insistance mise sur le port vestimentaire, de la description qui s’apparente à des romans feuilletons voire des illustrés de mode, du traitement du fait divers dans le récit comme dans une certaine presse à sensation, l’allusion au journal,  à la présentation de faits particuliers, politiques ou de société ou à la reprise de récits, des références à un bréviaire animalier qui rappelle les contes et leur dimension morale, voire et de manière allusive pour le lecteur et dans ce cadre, de textes de Léopold Sedar Senghor et Abdoulaye Sadji comme l’aventure de Leuk le Lièvre. Il s’agit également  de l’utilisation de l’espace (extérieur et intérieur), des recours fréquents aux procédés de l’oralité comme dans le conte, la palabre, les maximes, les jeux de société et les joutes oratoires qu’ils occasionnent, du discours panégyrique de griots sortis de leurs contextes sociaux comme dans  Borom Sarrett, de l’utilisation du temps cyclique mais aussi du temps rituel comme l’appel à la prière du muezzin compris comme chant mais qui ponctuent la marche du temps de travail ou de repos. L’univers romanesque qui se présente comme des tableaux de peinture donnent à la nature des allures de tableaux décrits avec précision par Sembène. On se croirait dans un univers de performance artistique qui rappelle l’esthétique du célèbre peintre sénégalais Kalidou Kassé, affectueusement et esthétiquement qualifié de peintre du Sahel, qui met en avant un univers qui parle immédiatement au public, ses personnages, leur univers de savane écrasée par le soleil, ses pinceaux/Xalima pour suggérer l’école et son importance, les artifices de séduction des femmes restées dans une tradition de sensualité non pervertie par la marchandisation du sexe. La peinture de Kalidou kassé se lit donc un texte à visée didactique comme ses portes de non retour, ses tableaux sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement. On peut ajouter la théâtralisation et ses moyens scéniques chez Sembene. C’est à dessein qu’il mélange des éléments de théâtre dans le récit, faisant cohabiter deux genres qui visent le même objectif dans les discours produits qui font rire pour instruire, comme dans les jeux de société qui ont pour de produire des effets cathartiques, le traitement du fait divers dans la mimique et la gestuelle, l’utilisation de morceaux de poésie en prologue ou en épilogue placés dans le récit comme dans le Docker noir, l’insertion ou l’évocation du récit épistolaire, comme dans le Mandat  ou le Xala à quoi on confère une fonction sociale dans la tradition orale et qui devient un actant de premier plan en quittant sa fonction première pour être dans la narration et devenir personnage de premier plan, omniprésent, muet Je renvoie encore à Ismaïla Diagne. On observe la même chose s’agissant du chant, celui de Maïmouna dans les Bouts de bois de Dieu, le recours aux saynètes version  théâtre populaire  dans les formes d’écriture et l’esthétique, sans oublier les artefacts qui rappellent bien Bertolt Brecht, son effet de distanciation et ses Lehrstücke, voire dans certains thèmes, une filiation idéologique, seconde et  en chaine  avec Maxime Gorki  et Brecht. Cette parenté dans la création qui pourrait être comprise comme des emprunts à l’exemple de Die Mutter,  La mère, se fonde sur des affinités idéologiques et politiques, des choix esthétiques revendiqués et assumés comme la technique de  l’effet de distanciation évoquée plus haut. Elle est présente dans bien des endroits dans le récit, la trame, la problématique, les visées politiques et sociales tout comme le prétexte, la grève des ouvriers dans les bouts de bois de Dieu  et  dans les dialogues des  personnages comme Niakoro, Mamadou Keita le Vieux, Sounkaré, Niakoro et Adjibidi.

On peut ajouter à ces rappels des éléments d’intermédialité qui recoupent ceux d’intertextualité présentés. On peut citer l’exemple de l’utilisation du media comme le journal, ou la présence/référence symbolique d’ouvrages de Lénine et de Mao dans le Dernier de l’empire, dans Xala l’apparition du journal Kaddu vendu à la criée et commenté mettant en relief  la revendication de la promotion des langues nationales, qui acte mieux que les tracts et dénonciations de la présence pesante et exclusiviste du français ; l’introduction de la musique avec le mythique orchestre Bembeya Jazz, son morceau culte plein de signification politique et culturelle  Regard sur le passé  dans le Dernier de l’empire avec des personnages qui l’occasionnent et lui servent de prétexte et permettent une migration vers la nécessité de réécrire l’histoire de la sous région et du rôle unificateur, politique et de libération de l’Almamy Samory Touré, dans le même temps, prise de position dans la lutte idéologique opposant Léopold Sédar Senghor et Sékou Touré par media interposés. Les signes d’intertextualité et d’intermédialité permettent des passages dans le récit à l’exemple non seulement de la presse mais aussi de la radio. C’est le cas dans le roman Le Dernier de l’empire ou le triptyque d’Héroïsme au quotidien et Moolaade.

Je dirais que la notion ou les théories sur l’intertextualité dans les dynamiques qui les portent dans la création esthétique, s’appliquent bien à l’explicitation des contenus, des partis pris, des choix esthétiques et politiques, des visées idéologiques et du discours dont l’œuvre de Sembène est porteuse.

Elles s’avèrent d’autant plus utiles qu’à travers des études de cas, on peut facilement les identifier et les analyser. Dans les développements connus de l’intertextualité, on peut s’accorder avec Roland Barthes qui parle du texte comme intertexte.[9] Ainsi, dans les passages remarquables à travers le discours qui les met en relief, on peut noter, par exemple, dans le cinéma de Sembene une intertextualité bien particulière et qui fait l’originalité de cet artiste, metteur en scène, réalisateur et acteur. C’est le cas dans Borom Sarrett. Des éléments de civilisation et de cultures orales se mélangent à dessein dans le chant du griot qui devient un intertexte dans des éléments d’oralité chantée qui portent et expliquent la civilisation faite de passé travesti et de cultures hybrides dans la déviation opérée par une modernité non assumée. Cette modernité n’est pas comprise et vécue harmonieusement dans des transitions nécessaires que Sembène dénonce de manière continue dans beaucoup de parties de son œuvre et dans ce type de panégyrique individuel dévoyé et de mauvais aloi. La valeur didactique de cette forme d’oralité portée par le griot, maitre de la parole, celle qui a un sens et donne du sens, s’avère dès lors évidente et s’en trouve illustrée et exemplifiée. J’y reviendrai.

Ce procédé intertextuel dans la gestuelle théâtrale du dire et du déclamer que le critique peut identifier dans la mise en relief et le parti pris de Sembene, l’importance accordée à la voix facilement décevable dans sa fonction sociale, en somme gestuelle et théâtralisation du récit, rendent possible le déroulement d’une expérience partagée. Ceci produit du sens dans le discours et confère à l’intertextualité chez Sembène une fonction politique et sociale déjà évoquée en mettant en exergue une critique sociale claire. C’est la raison pour laquelle nous retrouvons sans difficulté ce discours dans le parti pris esthétique et technique du dire qui se présente à chaque fois comme des tableaux que le lecteur peut facilement se représenter. Les images portées par ce type de discours se présentent comme autant d’unités narratives avec des procédés d’écriture comme la suspension du récit, l’accélération et le changements de rythme. On le note pareillement avec plus d’intensité encore avec la pièce de théâtre tirée des Bois de bois de Dieu.

Je peux donc dire simplement que l’intertextualité chez Sembène participe d’une esthétique originale qui confère au récit une dimension qui éclairent et explicitent les contingences et les contraintes du développement des pays africains à différents stades en en dévoilant les contradictions et les moyens de les lever.

 Le film ou Sembene témoin de son temps.

Parlant de l’intermédialité qui se manifeste avec beaucoup de significations dans le cinéma de Sembene, je pourrais commencer par ce qu’il dit lui même de son art : «  Je ne sais pas encore pourquoi je filme mais tout un peuple m’habite et je dois témoigner de mon temps ».[10] Ce militantisme a réglé avant l’heure les questions que les intellectuels africains se sont posés sur les voies les meilleures pour engager la décolonisation et les voies de développement, capitaliste ou socialiste comme le prônaient Sékou Touré en 1958 en Guinée, Modibo Keita au Mali, en 1960, Kwame Nkrumah, le consciencisme et son slogan « l’Afrique doit s’unir »  dans la même période au Ghana, socialiste africain à la Léopold Sédar Senghor au Sénégal ou Julius Nyerere et le mouvement Ujaama  en Tanzanie pour illustrer. La question à laquelle on tente de répondre dans sa riche production cinématographique (2 court métrages et 9 long métrages souvent primés dans les plus grandes manifestations cinématographiques internationales) est articulée à l’analyse concrète des situations politique, économique, sociale et culturelle de l’Afrique colonisée à celle postcoloniale et aux différentes positions des élites en charge du destin de ce continent, de l’Afrique subsaharienne à celle australe. Ce faisant, il applique, dois je le rappeler ici aussi, les leçons tirées de l’expérience politique et syndicale, celle du mouvement ouvrier de l’époque, sans oublier les nécessaires étapes des voies de développement, les alliances politiques de classe, le rôle des intellectuels, des syndicats, de la petite bourgeoisie, celle compradore soutenue par le néocolonialisme, le rôle et la place des religions et croyances culturelles ainsi que le poids des traditions dans ce processus d’émancipation. Sa réflexion s’articule autour de l’éducation d’abord pour susciter les nécessaires prises de conscience favorables à l’action organisée dans un contexte d’acculturation multiforme. Il s’agit pour lui de déconstruire des images idylliques d’une Afrique victime d’hybridités fécondées par l’histoire de rencontres qu’on lui a imposées et qui ont imprimé des marques profondes dans les consciences.

Il nous semble, dès lors, important d’appréhender correctement la démarche de Sembene et de l’expliquer dans son originalité, l’expliciter dans la démarche esthétique et dans la théorie du texte comme le comprend Roland Barthes,  parlant du texte et de l’œuvre ainsi  des déterminants socio-historiques[11] ,facteurs de production. Il s’agit donc de mettre en exergue une position militante qui distingue Sembene de tous les autres cinéastes africains pour comprendre et interpréter la présence et la richesse de l’intermédialité dans sa production cinématographique.

Il faut le souligner, la critique ne s’ attarde pas trop sur cet aspect de manière régulière et exhaustive, si ce n’est  lors de sa controverse avec Léopold Sedar Senghor sur la gémination du titre de son film Ceddo[12].  C’est sans doute ce qui explique cette forme d’ostracisme  de la critique qui entoure son  roman/essai Le dernier de l’empire, traitant de la succession politique de Léopold Sédar Senghor par Abdou Diouf dans une période de transition politique au Sénégal fort controversée.[13] On peut en souligner des signes révélateurs pour éclairer notre démarche et montrer en même temps de nouvelles approches herméneutiques de l’ œuvre de Sembene dont l’analyse des civilisations africaines constitue le fondement à partir duquel il déconstruit des discours et propose des alternatives. L’intermédialité lui sert de cadre pour poser des repères dans la conscience collective, procéder à des analyses rigoureuses du vécu du public, lui présentant des éléments familiers dans une distanciation de type pédagogique, suscitant des interrogations porteuses d’alternatives politiques, sociales, économiques et culturelles mieux que dans le roman ou la nouvelle. Dans cet exercice, Sembene se départit d’un certain populisme entendu comme regret de « la plénitude originaire » comme le déconstruit Domenico Losurdo dans son brillant ouvrage « La lutte des classes, une histoire politique et philosophique »[14] citant Marx et l’Inde colonisée par la Grande Bretagne : «  une société privée de son « monde antique » sans que cela soit compensé par « la conquête d’un monde nouveau »… « En l’absence d’un « monde nouveau », le « monde antique » idéalisé et transfiguré du fait des souffrances du présent et du caractère vague du souvenir du passé, continue à être l’objet d’une profonde nostalgie »[15] On voit bien ce phénomène dans une analyse de type intermédiatique dans l’utilisation  par exemple du chant et de la musique traditionnelle dans certains films de Sembene.

De par sa pratique littéraire et cinématographique, Sembene intègre des faits de civilisation africaine, enrichissant du même coup la théorie de la lutte des classes et ses exigences théoriques et pratiques appliquée à l’Afrique coloniale et postcoloniale, dans des contextes historiques déterminés.

Une approche et une analyse nouvelles peuvent montrer à quel point Sembene intégrait déjà dans son œuvre des techniques de récit porteuses de sens historique. C’est une des explications de l’utilisation de l’art africain contemporain sur laquelle je reviendrai dans une autre de ses fonctions, par exemple.

Parlant d’intermédialité dans des processus de production de sens, Sembene l’introduit avant les discussions actuelles d’un point de vue littéraire et artistique tout à la fois pour rendre clair l’objectif qu’il poursuit: une production d’images servies par un discours sans équivoque de déconstruction à dimension didactique et à visée thérapeutique. Il le dit lui même, répondant à la question sur la portée de son esthétique cinématographique. A la question:

« Comment le public reçoit-il les films en Afrique? De quels effets sont-ils porteurs?“ Sembene répond:

„On ne peut pas comprendre le cinéma africain dans ses formes variées et ses nombreuses références historiques sans étudier l’histoire et la culture des peuples africains. On doit savoir de quels mythes, symboles et métaphores les cinéastes africains partent“ [16]

Sembene s’est toujours inscrit dans la modernité. Ce faisant, il est un éveilleur de conscience dans une Afrique déchirée entre la tradition et ses avatars et les impératifs de développement. Il précisait: « une nouvelle Afrique est en train de naître. Une Afrique désormais consciente de ses problèmes propres. Elle sait ainsi que c’est à elle de trouver des solutions. Il faut en effet cesser d’être une société grabataire et assistée. Il faut apprendre à relever la tête et à faire face. Sans toutefois, bien sûr, refuser les apports de la civilisation européenne. L’Afrique doit s’incorporer les valeurs nouvelles en conservant son identité, sa personnalité. Sur le plan religieux, nous sommes très libres, tolérants. Une tolérance que l’on ne connait pas en Europe »[17]

Très peu porté sur la critique cinématographique qui a accompagné toute sa production, Sembene n’en était pas moins attentif à l’évolution du dépassement ou non des contradictions au sens où l’entendait Hegel et Marx en portant un regard d’anticipation sur le réel et son évolution. La Noire de…, cette œuvre majeure qui date l’apparition du véritable cinéma africain, ne porte- t –elle pas et ne dénonce t-  elle pas, par anticipation, le drame que suscitent les mirages de l’occident tel que le confirment les acteurs de cette production combien actuelle, dont la quintessence est portée par une femme. Ceci est un symbole très fort dans la mesure où la femme porte et donne la vie, symbolise le refus de l’exploitation comme les héroïnes des Bouts de bois de Dieu et prévient le drame des jeunes désœuvrés de certains pays africains de l’ouest, saisis de désespérance et qui bravent les océans et ses risques comme Diouana a bravé, naguère, l’inconnu dans sa quête de mieux être. L’intermédialité devient un objet d’interrogation dans le récit filmique, la trame, le développement du message que porte le film et en même temps interface obligé qui suscite en retour réflexion. Les objets de l’intermédialité sont choisis donc à dessein. On peut en relever plusieurs formes dans une énumération qui en montre toute la portée, d’un film à l’autre, parfois utilisées de manière répétitive pour en souligner l’importance au plan didactique et la portée dans les effets attendus de la production filmique.

La musique, la chanson, la ballade sont utilisées chez Sembene, parfois à l’instar de l’opéra de quat’[18] de Bertolt Brecht et Kurt Weill dans ses caractéristiques fondamentales comme le réalisme déja évoqué  et la mise à distance du spectateur pour lui permettre d’exercer un jugement, afin de l’amener à se   confronter à une vérité fondamentale de l’abime entre la morale affichée par la société et le mode de fonctionnement de cette même société. Le succès de la Ballade de Macky devenue un classique du répertoire musical, reprise également et largement dans le Jazz pour en souligner la portée à caractère universel, traduit un témoignage éloquent de l’esthétique entendue au sens d’une construction dynamique et la portée de ce genre, chanson ou ballade. On en trouve des traces dans Niayes, un film de 35mm tourné en 1964 dans un mode de confrontation réelle appuyée par la berceuse très populaire à l’époque Mademba de Fatou Casset, sur le respect dû aux parents, respect qui se transforme en relation incestueuse et dont le thème de l’enfant bâtard marque le hiatus entre la religion et sa pratique, la musique sacrée symbolisée dans presque tous les films de Sembene (l’appel du muezzin) et la pratique sociale répréhensible. On le note avec clarté dans l’intention d’informer et d’éduquer dans la chanson populaire qui dénonce l’hypocrisie, le mensonge et la fausse morale des castes dits supérieurs dans la société sénégalaise. Le contraste est net et mis en évidence entre la folie de l’ancien soldat, l’aliénation qu’il a subie et qui est véhiculée par la musique militaire et les airs populaires, éléments de refuges servis par des proverbes déclamés par le gardien de la tradition, le griot. « Un griot dit tout haut, ce qu’on n’ose pas dire, ce qu’on murmure. Il n’est pas nécessaire pour véhiculer la vérité d’être griot » entend-on dans l’intertextualité qui accompagne l’explication dans le film. Ces éléments de musique sont servis par la voix, les récits épiques, les instruments traditionnels comme la Kora omniprésente et jouent le rôle de refuge dans des situations désespérées ou de nostalgie réparatrice comme dans la Noire de… (1966), le Mandat (1968), Faat Kiné (2000). On peut relever à ce niveau les éléments d’identification qui servent de processus intermédiatiques et de mise au point culturel sur les trésors de l’oralité avec des musiciens connus, admirés et adulés par le public qui se retrouve dans leurs verbes. Les textes qui accompagnent la musique dans la narration et la démonstration de Sembene sont mis en reliefs et compréhensibles dans la musique instrumentale et ce qu’on appelle la musique vocale aves ses signifiants comme dans le blues africain-américain.[19] Ils portent des messages forts.  On le note chez la cantatrice préférée de Léopold Sédar Senghor, la grande diva séeréer Yandé Codou Sène, la cantatrice du royaume d’enfance, symbole de la rhapsodie des griots au chant polyphonique, celle qui inspirait le chantre de la Négritude dans sa poésie, ou dans la narration de   Samba Diabaré Samb maitre de l’épopée, Baaba Maal  pour Guelwaar (1991), Youssou Ndour pour Faat Kiné.  Leur champ lexical règle la question des langues nationales, de leur signification et portée sociale, politique et cathartique. On pense ici au tam tam symbolisé par le Sabar, instrument de musique,  de percussion, symbole de danse sensuelle et qui suscite oubli, allégresse, insouciance, érotisme, gaîté et fête complétés par des éléments traditionnels dont le chant est porteur, véhiculant des messages où se mêlent sarcasme, ironie, éducation et morale( le procès de l’argent, de ses effets dévastateurs dans nos sociétés, thème récurrent chez Sembene comme on le voit avec plus d’évidence dans le film Le Mandat que dans le roman ou la nouvelle Niiwam (1987).

 Le saxophone de Manu Dibango ajoute une dose africaine, moderne, mélancolique et bluesy dans les moments dramatiques ou ceux chargés de grande émotion dans le récit.

On peut, à juste titre, mettre en exergue deux musiciens de par leur   popularité, leur talent, la haute facture au niveau de la création et de la portée sociale que sont Samba Diabaré Samb que Liliaan Kesteloot appelle « le griot épique » et youssou Ndour.  Le premier n’a pas été choisi au hasard par Sembene dans beaucoup de ses films pour illustrer son message, lui le gardien du temple et de la généalogie qui déclare dans le très beau documentaire de Laurence Gavron « Le noble se trouve devant, le griot est   derrière pour lui enseigner son passé, sa naissance. En cas de bataille, nous sommes devant pour leur dire quoi faire, ne pas fuir, mourir ou vaincre »[20]. Pour lui, le Xalam, l’instrument  par excellence de l’oralité sert à écrire , à porter « les paroles ailées «  pour reprendre Homère[21]. Cette guitare à trois cordes selon les pays africains, retient les hauts faits, comme le courage du travailleur émigré en France et qui envoie le mandat, ou Tara, l’hymne à Elhadji Oumar Foutiyou Tall, un résistant à la colonisation française. Le gardien de la tradition fait le procès des griots flagorneurs, laudateurs, fustige les comportements déviants comme le dénonce Sembene dans Borom Sarrett ( 1962) mettant en parallèle les paroles pleines de sens psalmodiées avec le  Xalam, signifiant, comme au générique de fin, le refuge qu’il constitue, le facteur d’identification qu’il représente en opposition à la fois à l’opportunisme des griots aliénés par la nouvelle civilisation de l’argent, civilisation que souligne l’utilisation répétitive et en contraste de la musique classique occidentale dans la Noire de.. symbolique d’une aliénation renforcée par la ville de Marseille et la solitude, lot de beaucoup d’émigrés dans des espaces culturels froids où règne le profit. Rappelons que Sembene partage avec ces musiciens connus et respectés la distinction nationale délivrée par le Sénégal en 2006 de « Trésors humains vivants »

Le second, Youssou Ndour, c’est la jeunesse, le renouvellement du genre musical qui allie tradition et modernité dans les mélodies et la rythmique.  C’est l’hymne au stoïcisme comme le souligne le très bel essai du regretté Professeur Oumar Sankharé: Youssou Ndour. Le poète[22] : « la musique de Youssou Ndour constitue (donc) un grand espace où se croisent les écrivains et les genres de la littérature universelle. Baudelaire avait raison de dire que la poésie et la musique font que

« l’âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau » [23]. Comme Sembene, Youssou Ndour est un artiste engagé dont la musique est également catharsis et thérapie, son art euphorique et eurythmique. Des titres comme Birima ou Médina, font l’éloge de la ténacité et du courage, Mondial 98 que Sembene reprend dans Faat Kiné, souligne la force du football, l’importance du facteur multiculturel, de ce que la France doit à son émigration Blancs, Blacks, Beurres, pour la coupe du monde de football de 1998, dénonçant du même coup le racisme ordinaire du Front National de Jean Marie Lepen  et des « Beaufs ». Sembene revient ainsi sur le procès de la connivence opportuniste de la France néocoloniale ou coloniale par rapport à  ses émigrés ou  naguère ses tirailleurs comme dans Emitaï avec la statue controversée du soldat  Dupont et du tirailleur sénégalais Demba qui voudrait célébrer une pseudo  fraternité d’armes durant les deux guerres mondiales dénoncée avec force  par le très émouvant film Camp de Thiaroye sur le massacre des Tirailleurs sénégalais à Thiaroye en 1944[24]. Les accessoires que constituent le casque nazi, les fils de fer barbelés mis en exergue par la musique, l’harmonica du musicien Ismaïla Lô sont, du reste, autant d’éléments intermédiatiques en ce qu’ils véhiculent des messages porteurs et renseignent à des fins d’écriture de l’histoire occultée à dessein sur la présence des Africains et des Africains Américains dans les camps de concentration nazis. Ceci contraste avec La chanson « Maréchal nous voilà, tu nous as redonné l’espoir, le pays renaîtra », le recrutement forcé des tirailleurs sénégalais comme dans Emitaï, la répression des villageois qui refusent la réquisition et de donner le riz à l’armée, le persiflage du Maréchal Pétain et du Général De gaulle pour montrer à quel point le colonialisme s’est toujours servi des Africains comme chair à canon et source d’exploitation économique. Cet aspect est déjà annoncé dans le sacrilège de Diouana commis sur la place de l’indépendance qui glorifie les morts pour la patrie française.

Sembene est précurseur d’une autre modernité avec, en filigrane, le problème de l’accès à la connaissance facteur de libération sous tendue par une critique sans complaisance des instruments de manipulation de l’opinion  et modes de domination politique et culturelle comme les journaux postcoloniaux Paris Dakar et le Soleil  ou de « placement produit » utilisé dans le marketing avec l’opposition notée dans la séquence des circoncis, symboles d’éducation traditionnelle confrontée à une modernité autre,  source possible d’aliénation, avec la pancarte du jardin d’enfant. Ces images sont loin d’être gratuites dans le processus de confrontation implicite de deux mondes culturels, tout comme la séquence de la petite aliènée noire qui figure le clinquant et le superficiel et son compagnon européen dans la manupulation de faux billets de banque et la sentence de Faat Kiné.  Cette modernité ne produit qu’une aliènation continue destructrice de valeurs morales. La présence du journal dans la narration filmique fait le procès de l’incivisme, de l’oisiveté des fonctionnaires véreux du Mandat avec l’hebdomadaire Jeune Afrique mis en évidence. Sous ce rapport, Sembene plaide pour une autre forme d’information par la connaissance vraie dans la critique implicite de la sous culture véhiculée et favorisée par une certaine presse, celle dite de boulevard,  les photoromans qu’il met en évidence dans ses films contrastant, avec le journal Kaddu, promoteur des langues nationales et de leur richesse dans Xala.

Nous pouvons être d’accord avec le regretté grand critique d’art africain Iba Ndiaye Diadji qui parle du « critique d’art comme de quelqu’un habitué à faire parler des images silencieuses par essence, ou à essayer de mettre en mouvement des images figées ».[25] C’est le cas de Sembene avec son intervention dans l’art plastique.  L’intermédialité par l’art montre l’effet que l’image peut produire chez des non initiés qui la considère sans un œil critique nécessaire. Sembene sollicite cet œil à des fins d’éducation comme il montre, commente   et dénonce dans Emitai   le régime de Vichy incarné par le portait, la photographie de Pétain et son slogan « Travail, Famille, Patrie ». Il fait par contre l’éloge de ses héros, en privé dans sa maison de Galle Ceddo pour que nul n’en ignore par les portraits des martyrs,  symboles de la résistance africaine à la domination, à l’exploitation, soulignant ses préférences idéologiques qu’il veut partager avec son public pour l’amener à choisir ses véritables héros, ceux qui se sont sacrifiés pour la cause de l’Afrique, violée, bafouée et exploitée. L’utilisation des affiches participe en retour du même processus d’éducation comme celle du film Faat Kiné avec la nouvelle jeunesse  consciente qui prône l’unité africaine par des symboles forts tels que  l’évocation de Cheikh Anta Diop et de son ouvrage fondamental  Nations nègres et Culture[26]  ou le nom du Club Utopies et Prospectives, la caricature de la télévision comme media officiel, artificiel et manipulateur de consciences faibles   ( Cf. la métaphore de l’assimilation à la prothèse), la propagande faite dans la Noire de., l’insistance mise sur la Bibliothèque populaire comme source de connaissance. Sembene veut rendre dans le même temps vivante une mémoire collective occultée à dessein par les fossoyeurs des indépendances africaines, ceux là qui s’opposent à des velleités d’affranchissement de toute tutelle étrangère mais stoppées dans leur élan par des forces étrangères appuyées par des élites politiques locales. C’est ainsi qu’on peut interpréter une forme d’art populaire comme l’impression d’évènements ou de personnalités marquantes sur les tissus portés par les couches sociales relativement démunies à l’effigie de Patrice Lumumba.  Les références à  ce martyr de la révolution congolaise, assassiné par la CIA qui l’ a reconnu des décennies plus tard, à l’Almamy Samori Touré, fondateur de l’Empire du Wassoulou, résistant à la colonisation française au 19ème siècle, mort en déportation le 2 juin 1900 au Gabon,  à Amilcar Cabral de Guinée Bissau et des îles du Cap Vert,  assassiné  en Guinée par les colonialistes portugais le 20 janvier 1973,  à Kwame N’Nkrumah du Ghana renversé le 24 février 1966 par une junte militaire appuyée par la CIA,  Nelson Mandela de l’ANC qui a passé 27 ans dans les geôles du système de l’apartheid,  Thomas Sankara du Burkina Faso assassiné le 15 octobre 1987 avec l’appui des services secrets français. Ces références ne sont pas gratuites dans le procédé intermédiatique d’appropriation d’une des fonctions dévolues à l ‘art africain contemporain comme l’a souligné la 8ème édition de la Biennale de l’Art Africain Contemporain de 2008 et son thème Afrique: Miroir?. Que signifie et représente l’Afrique postcoloniale?

Nous pouvons dès lors interpréter l’intermédailité dans l’art en partant de la métaphore du miroir. Le miroir médiatise l’image qu’il transmet et cette image est associée à une seconde idée, l’identité. Celle de l’Africain débarrassée des   caricatures qu’on lui imprime et entraine une autre perception de soi, une identité au delà du miroir, c’est-à-dire s’analyser soi même dans une perspective autre, critique, tout en restant le même dans le temps.  Cette identité nouvelle à laquelle l’Art africain contemporain n’a pas peu contribué, est définie alors comme un système fait de sentiments et de représentations et posé par des actes de séparation, d’autonomisation et d’affirmation, de différenciation cognitive et d’opposition affective. On peut en déduire un principe intéressant à caractère universel que l’art peut induire celui de l’intérêt qui permet de mesurer la capacité de déplacement du sujet, de l’intérêt égoïste à un intérêt plus collectif. Il permet un nouveau mode d’identification à distance. C’est cette distance au sens brechtien que recherche Sembene dans son rapport à l’Art africain dans la peinture comme dans Faat Kiné et dans des formes originales de ce qu’on appelle l’installation comme procédé artistique pour rendre plus vivante l’idée, par exemple le Samp dans Ceddo, cette figure allégorique chargée de sens, véhiculant des idées de notre patrimoine culturel. Le Samp n’est plus un sceptre, mais objet ostensible, symbole d’un défi qu’un lutteur lance à son adversaire, signe chargé de sens, celui du défi public, signifiant refus à la soumission des Ceddo païens et résistants à la fois à l’islam et à l’exploitation basée sur la caste et la noblesse.  Des pouvoirs lui sont donc conférés par sa seule présence/défi.

Comme on a pu le noter tout au long de notre développement, le texte littéraire est chargé de sens chez Sembene Ousmane, renfermant les objets de son discours cinématographique à visée transformatrice, selon des étapes qui obéissent au murissement des différentes contradictions qui traversent les sociétés africaines contemporaines. Son usage est réaliste, de ce réalisme qui n’occulte pas aspérités dans la perception immédiate des enjeux, contradictions notées et prises en compte dans le développement des sociétés, générées par une idéologie dominante à facette multiples. L’intermédialité est productrice de discours clairs et donc de sens. Elle devient dans ses différentes composantes autant de personnages/actants du fait de la position qu’elles occupent dans le récit, la trame au sens architectural de l’histoire narrée. Ceci me permet de faire une transition avec un sujet qu’on pas l’habitude d’aborder chez Sembene, le rire.

Parler du rire   est un prétexte et  un appel du pied à la philosophie  qui le définit aussi comme catharsis, c’est à dire libération de la parole chez un public à des fins thérapeutiques, guérir le mal par le mal  pour, selon la philosophie aristotélicienne ou Aristote ou chez Platon, « libérer l’âme de son ignorance crasse », voire chez Bergson dans son ouvrage Le Rire : essai sur la signification du comique, d’une part. D’autre part, on peut en parler aussi en invoquant les sciences qui s’occupent de l’ensemble des faits de société. Celles –ci nous conduisent à la littérature ou aux arts du spectacle.

Cette manière d’aborder la question pose la problématique d’une recherche qui met en exergue l’analyse historique des phénomènes sociaux, l’histoire des mentalités, les questions de développement et celles liées à la construction d’Etat-Nation dans laquelle les rapports sociaux, les phénomènes ethniques et religieux prennent un relief particulier. Le tout est englobé dans la problématique plus générale du devenir des Etats africains postcoloniaux et singulièrement sénégalais.

C’est, dès lors et dans ce cadre, toujours avec un intérêt renouvelé que l’on se penche sur l’œuvre littéraire et cinématographique de Sembene Ousmane. C’est aussi un plaisir qui est double dès qu’on analyse sa première création artistique, Borom Sarret. Cette fiction de 22mn tournée en 1962, se rapproche, voire est le complément du même film inédit, Albourah, tourné en 1969 dans lequel le personnage principal en voix off, sarcastique à souhait, est le cheval. Les deux court métrages peuvent être analysés sous le rapport du rire dans sa signification sociale né d’un contact avec une réalité qui dépasse l’entendement du protagoniste. Le rire devient sujet /déclencheur de pensées qui prêtent à rire dans la définition du rire comme rire jaune, ou susceptible de provoquer une humeur noire. Le cadre d’analyse de la production de Sembene incite à cette lecture: la réalité sociale.

Nous avons, en effet, dans ce film, des traces de notre balbutiement contradictoire vers la modernité d’une part avec la gentrifaction et d’autre part, la possibilité de voir et d’analyser l’état de nos mentalités à la sortie de la colonisation et de la domination culturelle étrangère. Nous avons en mémoire, pour en souligner toute l’actualité, cette magnifique œuvre sous le rapport ainsi posé, le pamphlet/essai, sous certains rapports cri du cœur, de notre collègue  Abdourahmane Ngaïde du Département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Mbourou Mbara[27] publié en 2013, aux Editions du Nègre international. Le titre signifie « le tout désordre organisé », ce que la préface du collègue Badou Ndoye, le philosophe, appelle dans sa préface « le télescopage des univers mentaux villageois et urbains qui se produit dans nos villes ». Ce désordre se caractérise, entre autres, par l’indiscipline qui y règne mais aussi par l’incapacité à s’adapter à une modernité qui nous est imposée et qui produit « un taximan qui sort son boldé pour en asséner un coup au client, un cheval qui se détache de sa charrette et qui sème le trouble près d’une mosquée le vendredi à l’heure de la prière ». Le narrateur d’ajouter son commentaire « et tu me parles de discipline » (p.113.) L’actualité de Borom Sarret nous interpelle, dès lors, de ce point de vue, en ce que l’action se passe dans la ville et ses différents démembrements, lieux d’échange et de production avec des fonctions dévolues, pour l’époque et pour aujourd’hui également, à ses différentes parties, celle dite moderne et celle encore en formation mais de manière structurellement désordonnée.

Les relations entre les villes et les campagnes occupent une place importante dans les stratégies globales de développement initiées par les pays africains, en particulier, ceux au sud du Sahara depuis leur accession à l’indépendance.

La ville  a occupé, au cours des décennies écoulées, une importance que l’on ne peut plus sous estimer, surtout prise sous le rapport des fonctions qui lui sont assignées, de pourvoyeur d’emplois, plus ou moins précaires, de l’installation de différents secteurs d’activités inscrites dans la modernisation mais côtoyant à leur périphérie un secteur dit informel.

 L’histoire de la création des villes africaines, de la période coloniale à celle post coloniale, est riche d’enseignements à cet égard dont le moindre n’est pas son statut hybride du fait justement de son manque d’adaptation à de nouvelles réalités nées dans la période post indépendance. L’urbanisation post coloniale n’a pas marqué de ruptures. On a continué et perpétué un style de ville qui ne correspondait pas à un besoin clairement identifié. La ville était et reste un lieu de commerce, d’échanges monétaires, de services plus tard, au nom d’une modernité non maitrisée. Ce phénomène a provoqué des taux d’urbanisation rapide et anarchique qui passent de 10 à 35% durant les 40 dernières années. Des études prédisaient même pour 2015, plus de 60% de citadins en Afrique de l’Ouest[28]. La migration qui en est le corollaire et le déclencheur est un facteur important dans ce processus en tant que système de compensation entre deux milieux économiquement inégaux et constitue un thème fort de la question des articulations entre ville et campagne. Elle construit de nouvelles identités et territorialités hybrides, mi- urbaines, mi- rurales, véritables systèmes socio-spatiales difficiles à cerner pour les économistes, les spécialistes de l’urbanisation, mais terreau fertile pour des études interdisciplinaires croisées.

Le propos de Sembene, anticipant le phénomène des effets à long terme de la migration rurale vers les villes, nous indique les conditions de son émergence et ses conséquences sur les mentalités. Borom Sarret est bien un migrant de la première heure. Sembene ne s’attarde pas ici sur les raisons de sa migration. On peut cependant penser que la disette dans les campagnes, le manque de perspectives qu’offre l’agriculture, le rôle de l’argent et de la circulation monétaire de même que les mirages que la ville offre, en sont les causes principales. Il fait l’économie, à dessein, de schémas d’explication et se contente de nous en présenter l’ensemble des effets pour la période. Que nous montre Sembene et comment procède-t-il ? Quelles leçons peut-on en tirer qui situent cette œuvre dans une actualité à toujours interroger et interpréter ?

Il nous montre la première conséquence de la migration vers la ville, notamment le dénuement complet dans lequel vit Borom Sarret et sa famille. Le personnage principal est l’archétype des effets du mirage de la ville, un personnage qui se reproduit durant les années de sécheresse et qu’on retrouve encore dans les quartiers populaires d’aujourd’hui avec leurs lots de problèmes sociaux dont la prostitution telle que la suggère la fin du film, quartiers qui n’ont pas fini de se composer dans l’anarchie la plus totale, l’insécurité  et la pauvreté extrêmes telles que montrées par la caméra/témoin de Sembene.

Ce dénuement se manifeste déjà dans les deux acteurs clefs que sont le personnage du charretier et son cheval, famélique à souhait, l’environnement dans lequel il baigne (une chambre probablement louée). Il se manifeste ensuite dans le quartier populaire en voie d’édification (le lieu de travail de Borom Sarret avec ses éclopés, grabataires et mendiants, le transport de briques, la femme enceinte  et son mari qui ne peuvent s’offrir un taxi, le père éploré qui loue ses services pour aller enterrer un enfant mort en bas âge prélude à Niwaam, victime innocente de la pauvreté, les rues traversées avec ses clients pris dans leurs occupations économiques, somme toute futiles et  dérisoires mais expédients pour la survie dans un contexte de pauvreté  aux antipodes des conditions d’une dynamique pour un véritable progrès social.  Le dénuement des pauvres des campagnes venus dans la ville et vivant dans sa périphérie en fait des victimes pour des pseudos évolués qui se révèlent comme prototype du menteur social et du truand à la bonne mine, ceux qui seront les véritables fossoyeurs de l’économie du pays comme on le voit dans Xala.  Un des personnages, véritable profiteur de la crédulité et de la bonne foi des pauvres, achève son ascension parmi la bourgeoisie corrompue qui remplace l’élite coloniale. Ces acteurs constituent la lie de la société traditionnelle en butte à la modernité, pervertie par l’attrait du gain facile, de la flagornerie et du dévoiement des valeurs culturelles. La corruption des pseudo- élites qui se traduit par l’émergence de nouvelles classes sociales en formation, anticipe sur l’émergence de la bourgeoisie parasitaire comme Sembene nous en montrera les aspects les plus hideux dans Xala.

 Les lieux d’habitation sont intéressants à étudier. Par exemple, le quartier plateau, symbole du pouvoir colonial qui passe entre de nouvelles autorités locales est représenté, en contraste avec la médina ou les quartiers indigènes; il est bien gardé par des cerbères sans pitié. Il offre à la fois un contraste saisissant par l’ordre, la propreté et   les institutions qui le protègent et n’y admet aucun élément de perturbation.

La volonté de Sembene de partager son engagement se lit à travers les dialogues, les faits présentés et partagés ; elle renferme une certaine forme d’éducation clairement exprimée sous ce rapport. Sembene distrait au vrai sens du mot tout en éduquant. En témoigne le recours, encore une fois aux proverbes avec leurs charges éducatives, à la fonction multiple de la musique, instance de nostalgie mais aussi de rappel, instrument contre l’aliénation, au chant dans une geste sociale de prévention et d’avertissement. C’est dans cette geste sociale que le rire de Sembene trouve son expression, fonde sa fonction sociale de libération d’énergies créatrices, d’où les figures de styles qui le manifestent à souhait, en ne perdant pas de vue le côté dramatique des situations.

Dans le roman comme dans le film les analepses ne sont pas absentes, ces retours en arrière comme on peut le noter à la fin du film qui ont un caractère pédagogique, de rappel et d’arrêt sur des situations risibles à la réflexion. Le film les montre de manière plus explicite.

Par ailleurs, le réalisme psychologique et sociologique, le traitement de l’espace et du temps montrent avec plus d’évidence dans le film que dans le roman la progression de l’intrigue dans la survivance de traits de civilisation ou l’apparition de nouvelles mentalités dans des espaces nouveaux et chargés comme la ville moderne et ses quartiers. La ville devient un espace d’aliénation et aliénant, avec sa gentrifaction; il devient ainsi lieu de contradictions multiples dans une peinture des mœurs plus à même de mettre le doigt sur les transitions qui s’opèrent à la fois dans l’espace social, les relations, les activités  mais également dans l’émergence d’une prise de conscience politique et sociale. Cette émergence se fait de manière graduelle et est observable d‘un moment de l’action à l’autre, d’un espace à l’autre. Elle apparait également dans un processus de maturation subjective d’abord (les retours en arrière dans le récit) et collective ensuite, culminant avec les scènes de la fin, point d’orgue d’une volonté clairement affirmée de changements. Dans cette dynamique de changement, Sembene introduit sans s’y arrêter des éléments qui poussent à la réflexion, voire à l’action. Ainsi en est-il des plans que la caméra privilégie comme dans le mandat et son personnage principal dont le naturel, la bonhomie, l’humanisme en font à la fois victime et modèle, le tout accompagné d’attitudes qui prêtent à rire (Cf.  le déjeuner servi, la gestuelle dans la manière de déguster des mets succulents, l’identification facile avec des personnages réels issus de cette couche sociale). Le rire provoqué a une fonction sociale dans la narration en mettant à nu des tares de notre société (mensonge, fourberie, brutalité cupidité face à la candeur et à la naïveté du personnage principal).

La caméra/ témoin laisse filer l’histoire accompagnée du récit à la première personne dans la narration des faits. Elle arrive à nous faire saisir ces réalités sociales sans avoir l’air de s’y attarder alors qu’elles constituent les lieux de la confrontation de classes. L’antagonisme entre les couches et classes laborieuses et dont Borom Sarret est le prototype et celles exploiteuses qui ne montrent pas encore leur visage, est symptomatique de la démarche esthétique de Sembene: créer encore une fois la distanciation nécessaire à l’analyse profonde. Nous pouvons faire nôtre l’assertion de Maxime Scheinfeigel (CinemAction N°24) qui parle du « choix de la symétrie rigoureusement orchestrée qui parvient à faire saisir au-delà de la surface lisse, la réalité d’un récit purement événementiel, l’essence même de la complexité sociale à Dakar dans les années 60 ».

Les scènes de la vie quotidienne qui constituent une fresque vivante n’épargnent pas à dessein le spectateur. Elles sont souvent à la fois vivantes et allusives. Elles amènent progressivement à s’interroger sur la vie et le quotidien des simples gens comme devraient le faire tous les acteurs de la transformation sociale.

La ville d’aujourd’hui offre l’approfondissement du processus que Sembene nous montre et en cela réside l’actualité de son message, message qu’il va continuer à diffuser dans toute sa production ultérieure, traitant de l’ensemble de ces éléments.

 Le fossé se creuse de plus en plus entre les classes et couches qui étaient en gestation dans Borom Sarret. Celles ci vont se montrer progressivement dans leurs réalités au fur et à mesure de l’approfondissement des différentes crises traversées par la société:  crise de la gouvernance, paupérisation accrue des campagnes accentuant l’exode rural avec des Borom Sarret tels que nous les voyons tous les jours dans l’espace urbain se mélangeant aux rutilants 4×4, 8×8 et autres berlines prestigieuses pour en accentuer la singularité dans l’espace urbain.

Plus que  dans le roman, l’espace remplit  à l’écran les mêmes fonctions que dans l’imaginaire nourri par le conte : décoratives (la ville, ses quartiers et ses lieux de socialisation), narratives (permettant des unités séquentielles pleines d’enseignement sans besoin de recours à un narrateur) : on constate par soi même et déduit des attitudes par rapport au récit, les itinéraires parcourus, les différents lieux où se déroule l’action qui est moteur de l’histoire racontée, psychologiques (l’espace est sujet et se raconte lui-même dans la présence des protagonistes et leurs rapports  critiques qu’on peut analyser à travers leur gestuelle ). Dans la dramatisation de ses récits, Sembene passe de l’utilisation du conte à une forme de théâtre populaire où le rire occupe une fonction essentielle de détente dans le même temps où il suscite la réflexion. Ainsi en est-il de la richesse de la langue comme système de signes verbaux riches et du langage dont la caractéristique est qu’ils sont d’essence populaire, direct, avec une fonction didactique irriguée tr ès souvent par le rire dans des situations installées pour ce faire.

Dans les moments où l’auteur introduit une tension, le rire apparaît et devient moment important de la narration qu’il ponctue dans une sorte de pause. Le thème de la disette, de la famine consécutive à la faillite des politiques agricoles initiées par Léopold Sedar Senghor dans les années 60, 70, les cycles de sécheresse dans le Sahel qui n’épargnent pas les campagnes sénégalaises, la rareté du riz, élément de substitution à des habitudes alimentaires fondées sur des céréales locaux poussent les ruraux vers la ville, lieu d’échanges et de trafic de toutes sortes. Le vol dont est victime, dans Xala, un villageois envoyé par ses pairs suscite le rire dans la gestuelle, le discours, les mimiques et les conclusions tirées.

Tout ce que Sembene dénonce dans l’observation et ce qu’il déduit des rapports sociaux et de classe dans la société africaine en mutation, rapports   comprimés dans des séquences temporelles, 1964 pour le roman le Mandat et 1968 pour le film du même nom, se trouve mieux pris en charge à l’écran. Les tares sont plus visibles et les responsabilités mieux situées. Il s’agit de la lutte contre un système qui vient de s’installer et qui est piloté par les Africains eux-mêmes qui n’ont pas suffisamment pris en compte l’ensemble des besoins de cette société : besoin de rupture avec le passé en se réappropriant sa culture, de se projeter dans le futur en réglant les problèmes essentiels comme l’éducation et l’emploi pour construire un présent prometteur, prévenir l’émigration des jeunes vers des ailleurs chargés d’utopie comme dans la Noire de. où l’héroïne préfère le suicide à la solitude et à l’exploitation, la prévention de l’installation de la mentalité d’assistés économiques (Cf. les plans sur l’émigration dans Le Mandat qui permet l’envoi d’argent indispensable à la survie, en quoi Sembene jette un regard prospectif ). Les éléments qui provoquent un rire amusé se trouvent dans la gestuelle et les propos de protagonistes comme la scène du Mandat dans laquelle la véritable destinataire du mandat met son frère à l’index, d’abord à travers ses femmes et ensuite dans ses leçons de morale. Le spectateur rit, s’en délecte et est invité à réfléchir à ce genre de situation qu’il vit au quotidien.

La faillite des politiques mises en œuvre conduira au recours à l’aide extérieure des anciennes puissances comme le montre le film Guelwar, tourné en 1999 dont le thème de la mendicité internationale, source de corruption et de mal gouvernance, est déjà annoncé dans Le Mandat avec la réplique : « Si la mendicité est un métier, où va le pays ? »). J’ai été choqué à l’époque où votre serviteur a assisté à une projection de ce film dans une salle où le public était somme toute disparate dans sa composition sociale. Qu’elle ne fut notre surprise de constater une hilarité générale de mauvais aloi, témoin d’une profonde aliénation dans des scènes comme cette fin de film à l’intensité si dramatique ?

Prenons un  autre exemple dans la  situation, sous certains rapports, de misère des femmes dans leurs charges quotidiennes (notamment le difficile accès à l’eau potable, leurs responsabilités  pour suppléer le manque de ressources des maris, leur être social quelque peu contradictoire  d’épouse soumise et prévenante à la fois mais capable de seconder efficacement le mari dans le besoin, capricieuse mais consciente, en apparence insouciante mais au fond gestionnaire efficace de la famille etc.). Ce type de femme est aux antipodes de celles décrites dans l’Harmattan où le ridicule, c’est à dire ce qui est propre à exciter le rire, la moquerie suscitée par ses manières empruntées, l’aliénation, accompagne la critique sociale et crée des effets de distanciation. De même, la corruption de l’administration qui installe la pratique usurière, met les salariés dans des situations de dépendance permanente de ce système, son extension comme une hydre qui frappe aussi les simples gens (exemple de la mise en gage sous la contrainte d’objets précieux), la  dénonciation de la superstition et l’utilisation abusive de la religion à des fins personnelles et opportunistes, la destruction des rapports sociaux porteurs, achèvent de mettre à nu, de manière nette, les travers de la gouvernance africaine. Sembene arrive tout de même à y introduire des doses d’humour aux effets cathartiques, comme la complainte de la veuve de Guelwar après la disparition de son cadavre, la journée pénible de Nogaye Marie et la faim qui s’est néanmoins emparée d’elle et qu’elle manifeste avec beaucoup d’humour devant sa fille.

Dans le même esprit, on peut lire l’épisode du récit des frasques amoureuses de Guelwar, son déguisement pour faire la cour à une femme de notable, la manière de raconter cet épisode de sa vie chargée, par ailleurs, de combats nobles au nom d’idéaux au service de ses proches de même condition sociale. Cette anecdote fait baisser d’un cran, un instant, une situation chargée de tension électrique entre communautés religieuses différentes, tout comme la scène où l’iman pousse un juron.

Ainsi, l’engagement de Sembene est-il encore plus net, se fait plus opératoire dans l’écriture cinématographique avec les sujets traités, les mises en scènes, les situations dramatiques plus clairement campées, les interrogations autour des problèmes de développement de l’Afrique, la lecture sans complaisance qu’il tire des  recours inopportuns aux valeurs culturelles passées dévoyées, vidées de leur contenu, les nouvelles situations installées par les élites africaines, politiques et intellectuelles corrompues. Comme dans Le Mandat, la solution ne viendra que des Africains eux-mêmes.

 Il me faut conclure. Je pourrais affirmer que l’engagement de Sembene Ousmane se nourrit de l’observation qu’il fait des sociétés africaines, observation alliée à un parti pris idéologique et politique de départ né de sa propre expérience. La conscience que sa situation n’est pas isolée et qu’elle est le lot de nombreux Africains à différentes étapes de leur évolution, qu’elle est générée par le système dans lequel ils sont enfermés, accouche de ce choix de volonté affirmée de participer aux nécessaires ruptures. Témoignent de ce choix le parcours littéraire d’abord et cinématographique ensuite et la concomitance et cohabitation des deux de Sembene Ousmane, parcours sans cesse renouvelé en fonction des manières nouvelles dont les sociétés africaines sont gouvernées et de la complexité des problèmes dont il faut tenir compte dans le renouvellement et/ou l’adaptation des jeux d’écriture.

Ce parcours n’est pas linéaire puisque le vécu des Africains lui-même comporte des avancées et des reculs dans des nouvelles dimensions politiques, économiques, sociales et culturelles qui impriment leurs marques sur la conscience des sujets, objet de la réflexion permanente de Sembene. Il est marqué ensuite par des étapes qui sont autant de contextes nouveaux.

Le rire analysé ici, le rôle et la place des femmes, celle des jeunes sont autant de thèmes qui servent à appréhender des situations nouvelles pour lesquelles les Africains doivent être armés. Ainsi peut-on avec Sembene analyser l’état du monde en ce 21ème siècle dont on dit qu’il serait le siècle de l’Afrique.  Peut-on en être convaincu à la lecture du très beau texte d’Eduard Glissant et Patrick Chamoiseau : L’insoutenable beauté du monde[29] paru en 2008 ou Wolé Soyinka The burdens of  Memory, paru en 1999[30] ? Ces auteurs n’aucultent en rien les responsabilités propres aux Africains qui ont fait le procès du colonialisme.  Ils n’en posent pas moins des nouvelles face à la configuration d’un monde encore plus, dur, rempli d’incertitudes comme le montre la journaliste, activiste canadienne qui vient de publier  son nouvel essai, Dire non ne suffit plus[31], paru ces jours-ci,  pour le 1er anniversaire de l’accession de Donald Trump au pouvoir. A sa suite, on pourrait se reporter avec intérêt à Gramsci et ses beaux textes comprimés dans un recueuil intitulé Pourqoi je hais l’indifférence[32] ou encore Stephen Hessel et son Indignez –vous. ! de 2010[33] Comme Sembene, ils préconisent une réflexion renouvelée sur l’Etre en situation pour forger les armes de sa libération. En cela, les leçons de Sembene restent plus actuelles que jamais et cette présente Conférence internationale  qui commémore les 10ans de sa disparition nous permet de garder cette mémoire vivante au grand dam de tous les cassandres.

 

[1] Lucien Sève, Penser avec Marx aujourd’hui, Tome II « L’homme,, La Dispute/Snédit, Paris, 2008, p.24.

[2] Fred Fischbach, Lukacs, Bloch, Eisler, Contribution à l’histoire d’une controverse, Europe, 1969.

[3] Ibid. P.37.

[4] Fischbach, op .cit.p.29.

[5] Cf. l’intéressant article de Tony Andréani, Pourquoi Marx revient…ou reviendra, in : Marx contemporain, Editions Sylepse (Paris) et Espaces Marx, 2003, p.58.

[6] Maguèye Kassé, Ousmane Sembene publié en République Démocratique Allemande : affirmation d’une convergence humaniste, in : Etudes germano-africaines, Revue annuelle du Département de Langues et Civilisations germaniques de la Faculté des Lettres et sciences humaines de l’Université de Dakar(Sénégal),1983,p.119-132.

[7] Cf. La thèse d’Alioune Tine, Etude pragmatique et sémiotique des effets du bilinguisme dans les œuvres romanesques de Ousmane Sembene. Thèse de Doctorat 3ème cycle, Mai 1

[8] Ismaïla Diagne, Op. Cit. p.101

[9] Voir à ce sujet Roland BARTHES, « TEXTE THÉORIE DU  », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 15 juin 2017. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/theorie-du-texte/

 

[10] Références Sembene Mooladé, Prix Un certain regard, Cannes 2004.

[11] Roland Barthes, Théorie du texte, Cf. Encyclopedia Universalis, Vo 17, version électronique, p.996-1000.

[12] Copan Jean, Un film : Ceddo ou l’histoire introuvable (compte rendu Annales, Economies, Sociétés, Civilisations/Année 1980/Volume 35/Numéro 3/pp.848- 852.

[13] Sembène Ousmane, Le dernier de l’empire, Tome 1 et Tome 2, L’harmattan/Collection Encres noires, Paris, 1981.

[14] Domenico Losurdo, La lutte des classes, Une histoire politique et philosophique, Editions Delga, Paris, 2016.

[15] Domenico Losurdo, Op. Cit.p.363.

[16] Sembene Ousmane : » Ich will mit meinem Volk reden »,in : Film und Fernsehen,2, Berlin (DDR), Nummer 2,1972.

[17] Les critiques du Figaro, Paris, 12 Juin 2007

 

[18] Cf. Die Songs der Dreigroschenoper, Potsdam : Gustav Kiepenheuer Verlag  München, 1928.

[19] Voir LeRoi Jones,1963, Le peuple du blues, Editions Galimard, Paris,  1968 pour la traduction française, p.55.

[20] Samba Diabaré Samb, le gardien du temple, un film de Laurence Gavron, VF, 68mn, 2006, Mbokki Mbaar Productions, Dakar, Sénégal.

[21] Cité par Mamoussé Diagne dans son introduction de son ouvrage : Le Preux et le sage. L’épopée du Kayor et autres textes wolof, Orizons, Paris 2014, introduction.

[22] Oumar Sankharé, Youssou Ndour. Le poète, Les Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, Juillet 1998.

[23] Ibid. P.26.

[24] On se reportera utilement à l’ouvrage de Martin Mourre, Thiaroye 44, Histoire et mémoire d’un massacre colonial, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2017.

[25] Oumar sankharé, Op. Cit. Préface de Iba Ndiaye Diadji.

[26] Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture, Présence Africaine, Paris, 1954.

[27] A1bdourahmane Ngaïde, Mbourou Mbarara, Le Nègre international Editions , Dakar, 2013.

[28] Urbain-Rural, l’hybridation en marche, introduction, Etudes et Recherches N° 240-241-243, 2005, enda tiers monde, Dakar 2005.

[29] Edouard @Glisssant/Patrick Chamoiseau : L’onsoutenable beauté du mondr, Adresse à Barack bama, Galaade-Auteur de vue, Institut du tout-monde., Normaqndie Roto, Décembre 2008.

[30] Wole Soyinka, The burdens of Memories, The muse of Forgiveness, Oxford University Press, 1999.

[31] Naomi Klein, Dire non ne suffit plus, Contre la stratégie du choc, Actes Sud, Paris, 2017

[32] Pourquoi je hais l’indifférence. Antonio Gramsci. Traduit de l’italien et préfacé par Martin Rueff. Collection : Rivages Poche / Petite Bibliothèque

 

 

[33]  Stephan Hessel, Indignez-Vous ! Indigène Editions, montpelier, 2010.


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