Par Bassirou S. NDIAYE
Six ans de règne, de combines et de complots, ont écrémé, décrédibilisé ou étêté partisans et adversaires du Gladiateur, spolié la nation de richesses multiples, matérielles et morales. L’éventualité d’un recours au clan de l’Empereur comme alternative, gagne de plus en plus de terrain, comme si Googorlu serait prêt à ravaler ce qu’il a vomi il y a juste six ans. C’est dire que le royaume, qui se croyait au-dessus de tout et de tous, a perdu de sa sérénité. Après deux essais non concluants, les rêves d’une impossible alternance semblent se diriger vers les murs de l’incertitude.
Dans les bureaux et dans les usines, à travers champs et campagnes, la colère gronde. Tous les muscles bandés sont dirigés vers la même cible ; tous les « kuuru bay faal » levés, ne visent qu’une tête : celle du Gladiateur, coupable de dictature, ou…d’envie immodérée de second mandat au parfum d’hydrocarbures. Mais, pouvons-nous le condamner sans nous poser la question : Sommes-nous victimes ou complices de ce qui nous arrive, en faisant ou laissant faire ?
Entre les complaintes « y en a marre », et les airs de l’hymne à sa gloire (doli ma, doyalu ma), l’Empereur trop naïf ou trop arrogant, n’avait pas su faire la différence. Non seulement il n’a pas réalisé ses rêves, mais ses désirs l’ont entrainé vers les abîmes de l’histoire. La couronne échappée de ses mains, est venue s’incruster comme par miracle sur la tête d’un bouffon qu’il avait créé de toute pièce, donné les moyens de faire rire la cour, en attendant de s’en servir comme marchepied pour son rejeton.
En l’absence de leaders charismatiques malgré les alléchantes conclusions des Assises Nationales, ou plus exactement en présence de trop de chefs incapables de se tolérer, l’ALTERNANCE II a été plus, une révolte paysanne dont l’issue ne pouvait être que celle de la fable : « le roi est mort, vive le roi ». Principal bénéficiaire de ce « lambi golo » où les combattants les plus attendus se sont neutralisés, le Gladiateur a reçu sans vraiment le demander, l’allégeance sans condition d’une classe politique encore entre les mains du troisième âge. Ce qui fait débat au sein des partis de gauche, c’est moins le soutien même sans condition, que justifierait une situation historique particulière au Gladiateur, mais bien le renoncement à la lutte et à la philosophie qui légitimaient leurs existences. Les purges et les mises en quarantaine instaurées comme mode de gestion de ces partis (ou ce qui en reste), s’organisent autour d’un postulat frauduleux : « le parti soutient le Gladiateur », débouchant sur une logique à la fois cruelle et cynique : « tous les militants soutiennent Gladiateur ou sont considérés comme des rebelles et traités comme tels ».
Sans rêve mais plein de désirs, Le Gladiateur projeté au sommet du royaume, a été immédiatement entouré par des courtisans plus attachés au symbole et aux avantages qu’ils en tirent qu’à celui qui les porte. Les professionnels disent que c’est ça le réalisme politique, les fanatiques y voient « la main de Dieu ». Mais de quel Dieu ? Certainement pas celui d’Isaac et d’Abraham. Que vive l’idéalisme si réalisme veut dire renoncer à la lutte après une défaite. Le drame, c’est que la politique du Gladiateur est un virus insidieux, qui ronge l’économie et la morale, un feu à combustion lente qui brûle sans flamme et sans fumée. Si Le Gladiateur n’a pas encore versé de sang, il en a tant sucé, s’il n’a pas encore ôté de vie, il continue d’en briser au quotidien.
Identifié comme un charognard qui s’est engraissé à l’ombre de l’Empereur déchu, il s’est découvert des talents de prédateur, s’attaquant aux proies les plus faibles et/ou isolées de leurs bases. Les victimes les plus connues sont à dénombrer parmi ses potentiels challengers, mais la grande majorité reste d’anonymes Goorgorlus, coupables d’objections à ses pratiques ou simplement de n’avoir pas dansé au rythme de ses airs. Son programme de génocide politique, intellectuel, moral et juridique, dont l’objectif ultime est de vaincre sans péril, tend à déstructurer le royaume et à le priver de ses ressources vitales. Aujourd’hui, sans être une masse d’argile flasque modelable selon ses désirs, Ndoumbélaan a perdu confiance en ses guides de toute nature.
On pourrait donc croire le chemin balisé. Pourtant, le Gladiateur est manifestement inquiet, au point de menacer ses partisans de destruction massive en cas de défaite. Sa victoire à la Pyrrhus lors d’un référendum dit constitutionnel, censé tracer un cadre de vie consensuel entre les citoyens, est un échec politique, économique et social. Les résultats des dernières élections prouvent que les lignes arithmétiques n’ont pas bougé en sa faveur, même si le mode de scrutin lui garantit plus de trois quarts des applaudisseurs à la chambre d’enregistrement. Les scandales savamment orchestrés ou relevant d’incompétence lors les différents scrutins organisés sous son magistère, y compris les réponses servies aux plaignants par une justice se déclarant souvent incompétente, ont fortement entaché leur crédibilité. Son « hoxotal » qui peut être perçu comme une alerte ciblée, ne peut pas effrayer la masse des lieutenants cubes-Maggi, certains de sauter sans état d’âme dans la prochaine soupe de l’éventuel vainqueur. Il n’est pas impossible d’ailleurs, que certains parmi eux, jouent déjà aux équilibristes : « bi tanke du laal bi ».
Le « lion qui dort » se serait-il réveillé en proie au doute comme dans un cauchemar ? Dans ce cas, il n’aurait pas tout à fait tort, d’autant plus que le chat nommé contre toute attente à une nouvelle station de pompage des sous, est de plus en plus souvent porté absent à la base. Que vaut aujourd’hui l’homme qui pesait 25% d’inconditionnels il y a six ans ? Que sont devenus les 65 % qui l’avaient préféré à l’Empereur ? Qui choisiraient-ils dans l’éventualité d’un second tour de plus en plus en plus inévitable ? Que pèseront les bonus attendus de « l’année sociale » sur les intentions de Goorgorlu après sept ans de malus ? Accrochée au wagon du Gladiateur sans jamais y prendre place, la gauche qui l’avait soutenu dans son aventure de droite, s’est fragilisée. L’état-major des verts qui en constituait la frange numérique la plus significative, s’est décroché de ses wagons porteurs de suffrages… et de principes. Même au risque de se fracasser les jambes ou d’atterrir en terrain miné, un baroud d’honneur des derniers Mohicans plus que dépités, reste une probabilité.
La déception des uns et l’envie de gouverner des autres sont telles que tout le monde ou presque est certain que le Gladiateur n’a aucune chance de survivre à l’épreuve fatidique de « pommu siraat », que la Constitution l’oblige à traverser dans quelques mois. Il se sent donc condamné, « perdu, sa retraite coupée et tous ses chemins pris » (sic). Ce sont là, des questions majeures qui troublent le sommeil du Gladiateur, de sa famille, mais aussi des bailleurs-usuriers qui ont profité de sa présence à la tête de Ndoumbélaan pour fructifier leurs richesses par des créances douteuses ou en s’octroyant les ressources les plus convoitées.
Si les rêves sont des essences de vie, les désirs en sont les maitres impitoyables et sans scrupule, qui conduisent fatalement vers les abîmes. C’est pourquoi, Goorgorlu s’était opposé, farouchement aux désirs de l’Empereur, au prix de plus d’une dizaine de ses compagnons tombés, sur la route de l’alternance II.
Le Gladiateur a trop surfé sur les mots et les maux en méprisant ses adversaires qui, au nom d’un « fairplay démocratique » lui ont permis de régner, alors que le peuple s’attendait à le voir gouverner. Mais le verdict des urnes n’est pas une parole d’évangile, et le « fairplay démocratique » des acteurs politiques ne saurait être crédible sans le sceau des masses populaires. Des enjeux économiques et sociaux dynamiques, font du quitus statique qui confère à un homme ou à un clan le droit de gouverner une nation, bien plus que le simple résultat d’un match de gala où les adversaires se serrent la main quel que soit le verdict. L’élégance politique qui dicte aux acteurs défaits de ranger leurs armes après avoir « épuisé les voies de recours légales », n’engage pas forcément les masses.
La goutte d’eau qui risque de faire déborder le vase, proviendra, si on n’y prend pas garde, de l’environnement dans lequel seront organisées les prochaines élections. Admettre en effet que les manquements volontaires ou intentionnels, les tricheries, et toutes les pratiques affectant la sincérité des scrutins, peuvent être comptabilisés en pertes et profits, c’est faire preuve de légèreté et de naïveté. Soyons sérieux et parlons-en maintenant, pendant qu’il est encore temps !
Les risques sont réels qu’une victoire improbable du Gladiateur au second tour ouvre un troisième tour social difficile à stabiliser, et une victoire inimaginable au premier tour, celui d’un front …, simplement « y’en a marre » de la démocratie.
LES CHRONIQUES DE BANDIA, Janvier 2017