LA BATAILLE DES ÉLÉPHANTS (XEEXU NIAY)

Par Bassirou S. NDIAYE

Si le procès intenté par le Gladiateur contre son plus sérieux adversaire, débouchait sur des révélations sordides, il rappellerait à bien des égards, le feuilleton « Lui et Moi », connu comme le premier déballage ayant porté sur la place publique, la banale nudité des dieux qui nous gouvernent. Malgré l’absence de similitudes évidentes, c’est encore un enjeu de pouvoir au-delà d’une simple « querelle de bandits lors du partage du butin », où la raison du plus fort sera toujours la meilleure. Qu’il se termine par un protocole ou une mise à mort politique plus motivée que justifiée, l’issue ne fait aucun doute : le mis en cause payera l’affront de lèse-majesté. Il ne s’agira pas seulement « d’assumer ses actes » synonyme de refus de se soumettre, comme le dit froidement le Général de l’Est bien au chaud dans sa nouvelle chambre d’enregistrement taillée sur mesure. Ce ne seront également pas des biens de la nation qui lui seront réclamés, mais une part de son abnégation, un soupçon de son audace, une poignée de son courage, et suffisamment de plumes, à déposer sur place pour l’empêcher de reprendre son envol.

Goorgorlu connu et reconnu, comme l’unique représentant légitime des nécessiteux de Ndoumbélaan, en est le symbole national. Paradoxalement, il ignorait jusqu’à l’existence de cette « zakat » décentralisée, appelée caisse noire ou caisse d’avance. Il n’y a jamais eu droit, et aucun des noms cités ou annoncés comme en ayant bénéficié, ne porte ses attributs. Il se refuse donc de prendre parti pour une partie des parties en conflit. D’ailleurs, il voudrait se porter partie civile dans le procès de ce « gafaka », depuis toujours voté par les élus, approuvé par l’exécutif, et géré clandestinement (en tout cas à l’abri des regards des non-initiés) en marge des règles communes, pour arrondir les fins de mois des politiques et des lobbies. Mais la présence du nain social dans une cour de géants passe mal aux yeux des avocats du Gladiateur qui déclarent sa requête irrecevable …… pour vice de forme.

Présent aux premières heures pour ne rien rater, Goorgorlu a été noyé dans un débat technique où les mêmes mots savants qui ne veulent pas dire la même chose, voilent et dévoilent les demi-vérités des uns et les demi-mensonges des autres. Les spécialistes du droit cherchent à le convaincre que cette étape, malgré la pauvreté du spectacle, est le seul tournant décisif de Sangamar à l’hippodrome Anta Mbakhar, au sortir duquel aucun miracle ne sera plus possible. Dans ce débat subtil entre ce que la loi autorise et ce qu’elle n’interdit pas de faire, s’opposer à la tenue du procès reste le dernier baroud d’honneur qui s’offre à la Justice. Au-delà, elle ne sera qu’un sheriff du Far West, réduit à arbitrer un duel et à enterrer la victime. C’est sûrement l’éventualité d’un croc-en-jambe à l’abri des regards, qui irrite le vautour au crâne rasé qui ne comprend toujours pas pourquoi le matador tarde à mettre à mort le taureau déjà bien affaibli.

L’amateur de charogne est pourtant bien placé pour savoir que cette bataille aux allures ésotériques, s’impose à lui comme l’inévitable spectacle qui accompagne toute corrida. Tant pis s’il a, malgré son rang et son sang, choisi d’y assister aux premières loges. Mais peut-être avait-il promis au Gaulois de passage, le scalp du rebelle à l’occasion de son inopportun pèlerinage initiatique. Cette visite de Astérix au nouveau comptoir commercial des hydrocarbures, et justement en ce moment-là, ne peut pas être une simple coïncidence, même si d’aucuns n’y voient qu’un prétexte pour accompagner la rencontre d’une secte clandestine, heureusement avortée. Elle sent un parfum de « sotoo », synonyme de renforcement des capacités de nuisance, ou tout au moins, d’un soutien tacite à celui qui a renouvelé son acte d’allégeance au Capital. Astérix, qui avait prévu un spectacle sons et lumières pour divertir les indigènes, rentrera donc sans le trophée, et c’est peut-être tant mieux ainsi.

Les partisans du détenu sont conscients que la probité reconnue du juge ne suffira pas à faire leur bonheur. Ce n’est en effet pas la régularité du duel entre David et Goliath qui est ici posée, mais bien la légitimité d’un combat à mort de cette nature dans une démocratie. C’est pourquoi, le mérite des Assises Nationales, a été de poser cette question de fond sur la nature de ces fonds secrets, portés en bandoulière par les puissants, tapis au fond d’une démocratie. De toute évidence, si le verdict ne devait s’appuyer que sur la constitution monarchique de l’Empereur déchu, aujourd’hui repeinte aux couleurs du Gladiateur, il éluderait la véritable question de fond sans apporter la véritable réponse aux questions de fonds qui nous préoccupent.

C’est donc bien Dame Justice, plutôt figurant qu’acteur, qui risque de faire malgré elle, les frais de ce débat tronqué perçu à tort ou à raison comme un combat truqué. Derrière les barricades floues, entre ce que la loi autorise, et ce qu’elle n’interdit pas de faire, l’impossibilité de prouver la culpabilité des accusés (jusqu’à l’extension du soleil), autant que la difficulté de les laver de tout soupçon, débouchera immanquablement sur un rapport de forces, où la volonté exprimée ou non, d’assumer enfin la nature politique et/ou citoyenne de cette bataille, pourrait prolonger le verdict de Thémis dans les rues jonchées d’ordures, du moins pour l’instant.

Ceux qui croient que la mort du dernier Damel est une condition nécessaire pour poser les rails…d’un second mandat, pourraient bien apprendre à leurs dépens qu’elle est loin d’être suffisante. Et la troublante visite du Gaulois sur les terres des femmes insoumises, risque de raviver la flamme au-dessus des cendres encore fumantes d’un historique cheval, symbole de dignité.

LES CHRONIQUES DE BANDIA, Janvier 2018


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