Par Bassirou S. Ndiaye
L’identité de gauche a-t-elle disparu de Ndoumbélaan ? Le drapeau de Goorgorlu, malgré ses nuances et ses nuées, a-t-il encore une place dans l’arène politique ? Pour combien de temps les « camarades » seront-ils obligés de se battre sous la bannière des armées qu’ils ont toujours historiquement combattues ? Le feront-ils en qualité de néolibéraux convertis à l’économie de marché, ou en mercenaires répondant au plus offrant enchérisseur ?
Pour n’avoir jamais pu, jamais su, ou jamais voulu organiser l’indispensable alternance générationnelle qui donne un souffle nouveau aux partis, la nomenklatura de gauche a vieilli sous les harnais. Conservatrice de valeurs obsolètes, elle en est réduite à se glorifier d’une « croissance de 7 % » d’ailleurs contestée par certains spécialistes de l’économie, qu’exhibe un pouvoir libéral dont elle réclame la paternité en lui garantissant un droit de succession… jusqu’à un troisième mandat que pourrait valider « l’avis » d’un conseil constitutionnel, incompétent pour trancher ce litige en gestation.
Historiquement attendue sur le terrain des rapports de production, de la justice sociale et du partage plus équitable des biens de la nation, la nomenklatura au sommet des partis de gauche, a oublié que ce n’est pas l’accumulation de richesses qui est posée, mais plutôt les choix politiques et économiques qui rendent les riches de plus en plus riches, et les pauvres de plus en plus pauvres. Qu’est-ce que donc la croissance pour Goorgorlu ? Comment est-elle ressentie dans le panier de Dieg ? Où va-t-elle ? A qui profite-t-elle ?
Devenue progressivement clandestine sociale depuis sa légalisation politique, la gauche de Ndoumbélaan ne s’est-elle pas brulée les ailes pour s’être trop approchée de la « vérité » du pouvoir de l’argent. L’apartheid économique dans lequel elle s’est laissée enfermer, ne l’a-t-il pas éloigné de sa base historique, des réalités sociales et géographiques des damnés de la terre, identifiés comme ouvriers et/ou paysans ? Quel est l’avenir de la « révolution nationale démocratique » dans cet attelage de plus en plus étouffant ?
Si ses dirigeants se réclament encore d’un passé de lutte pour légitimer une place à coté du Gladiateur, ils ont aujourd’hui, une peur bleue à exhiber ou à rappeler les couleurs des drapeaux sous lesquelles ils ont réalisé leurs plus beaux faits d’armes. Malgré une subtilité sémantique, reflet d’un monde alors à trois dimensions, les gauches s’accordaient au moins sur la nécessité de se battre pour l’avènement de la révolution nationale, (« démocratique » prolétarienne ou « démocratique et populaire » paysanne), pour parachever l’indépendance du royaume, confisquée par la « bourgeoisie bureaucratique et compradore ». SIC.
Incapables ou trop frileux pour engager le combat au nom de leurs valeurs historiques, ou aux cotés de ceux qui les revendiquent, les dirigeants de la gauche de Ndoumbélaan en sont réduits à choisir le morceau le plus tendre, le plus gras ou peut être le plus épicé parmi une brochette de candidats de la droite libérale qui se disputent la couronne du royaume, en se cherchant des alliés à qui ils promettent un os à ronger en cas de victoire.
Témoins ou jurés, que répondront-ils au procès opposant le Ndoumbélaan de la souffrance et des privations, au Ndoumbélaan de la jouissance et de l’insolence irresponsable soumis au capital, qui a dépecé puis vendu le royaume à la cupide et insatiable métropole ? N’ont-ils pas bradé pour une bouchée de pain les semences de cette révolution, dont les Assises Nationales puis la CNRI, constituaient l’amorce rassurante la plus probante pour la bourgeoisie nationale, parce que dépouillée de sa phraséologie sectaire, populiste et incendiaire ?
« Camarades », votre posture actuelle n’est-elle pas sans rappeler les négriers qui ravitaillaient les bateaux esclavagistes restés prudemment sur les côtes, des nègres marrons dans les plantations et plus récemment des contras en Amérique Centrale sur lesquels s’appuyait naguère l’impérialisme américain pour étouffer les aspirations des peuples frères en lutte pour la liberté et la dignité ?
« Camarades », ce réquisitoire n’est ni un soufflet du Comte de Gomes à Don Diégue, que devrait venger Rodrigue malgré son amour pour Chimène, ni une leçon de morale d’un idéaliste présomptueux, peut être encore un « membre de la Gauche-caviar », mais simplement les « justes mots » d’un Louis Althusser à un Roger Garaudy sur la voie de la décadence et de la déchéance.
« Camarades », ne le consommez donc sous aucun prétexte, car il pourrait perturber votre nouveau régime alimentaire et idéologique ! Mais ne le jetez surtout pas à la poubelle, car il pourrait être demain, la nourriture de base d’autres générations qui vont changer l’histoire du royaume !
BANDIA, AVRIL 2018