Par Bassirou S. Ndiaye
Personne ne veut en parler, mais la question est sur toutes les lèvres. La bataille pour le trône de Ndoumbélaan sera fortement influencée par la campagne de Russie. Les douloureux souvenirs de la cavalerie napoléonienne noyée sous la boue, la déroute des panzers d’Erich Von Manstein classée comme un simple détail de l’histoire, le Gladiateur va lancer sa propre campagne de Russie en inaugurant sa blitzkrieg par la frontière polonaise. Son but n’est pas de vaincre, mais d’emprunter la voie et la voix du football comme le gué d’un fleuve politique et social en crue, pour accéder à l’autre rive.
En entrant par nécessité dans la cour du football, les politiques obligés de s’accorder avec un sujet qui les intéresse le moins mais dont ils ont tant besoin, n’hésiteront pas à user de tous les moyens légaux et illégaux, conventionnels et non conventionnels à leur disposition, pour arriver à leurs fins. Et ce ne sera d’ailleurs pas la seule fois, puisque déjà des politiques avaient misé sur les cauris pour que l’aventure des couleurs de Ndoumbélaan alors en pleine campagne électorale se termine par un fiasco. Victoire des djinns, hasard ou logique aléatoire du sport, ce fut en tout cas, une débâcle sportive, malgré d’immenses talents et d’énormes espoirs.
L’élimination au premier tour de nos sportifs en terre africaine avait-elle favorisé pour autant, un second tour électoral fatal à l’Empereur ? « yalla rek moo xam » ! En tout cas, si chacun garde ses certitudes, tous conviennent que ce fut un immense gâchis sportif. Aujourd’hui encore, l’histoire se répète, même si les principaux acteurs ont changé de camp et forcément d’objectifs et de stratégies. Les couleurs de Ndoumbélaan vont donc quitter le cercle mythique des casernes et des cours solennelles des écoles pour entrer dans l’arène mystique des politiques, accusés déjà à tort ou à raison de décapiter des enfants et des malades mentaux pour gagner les faveurs des Dieux.
Entrainées dans l’arène politique, les couleurs et les emblèmes du royaume deviendront des serviettes et des torchons, des linges de corps et des casquettes pour amuser la galerie, calmer et/ou faire oublier la faim aux gueux de plus en plus en plus nombreux malgré l’année sociale qui pleut des milliards… sans nuages. Les couleurs verte, jaune et rouge, vont changer de sens pour ouvrir ou fermer le passage à des acteurs de plus en plus allergiques au code démocratique régulant la circulation sur l’avenue du poète-président.
Le rouge au premier tour, synonyme de retour prématuré au bercail de nos sportifs serait interprété comme un vert par les oppositions. Pourquoi ne prieraient elles pas alors pour un « tolof » sportif même héroïque au premier tour, pouvant être le moyen le plus court pour passer sans détour à l’essentiel ? Toujours loin des préoccupations sportives, les partisans du Gladiateur miseront sur le vert au premier tour sportif capable d’abréger les joutes politiques en un seul tour électoral en faveur de leur candidat. La qualification au second tour sportif pourrait en effet servir de cri de ralliement en faveur d’un « Ndoumbélaan qui gagne » pour mobiliser les sceptiques d’une émergence qui tarde à faire ses preuves. Le conseil constitutionnel étant toujours incompétent pour en interpréter le sens, la couleur jaune sera elle, mise au vert.
L’interdépendance entre tours sportifs et tours électoraux pour l’accès au trône de Ndoumbélaan, amènera donc les uns et les autres à se jouer des tours.
- Pour les oppositions politiques, l’accès au premier tour électoral se heurte déjà au parrainage érigé en montagne russe.
- L’indésirable second tour électoral se présentant comme une tour jamais franchie par le candidat sortant, est le chat noir à abattre des partisans du Gladiateur.
- Par la faute d’un scrutin électoral à deux tours, un second tour sportif au pays des tsars devient donc un immense enjeu, dont l’issue se joue déjà dans le prolongement de nos mythes et réalités, dans l’intimité des vestiaires des saltigués.
Mais la qualification au premier tour n’intéresse pas que les politiques. Certains soupçonnent l’existence d’un parrainage moins conventionnel, mis en place par le sélectionneur national pour départager les nombreux prétendants à défendre les couleurs du royaume au pays de tsars. Pour les sportifs sur le terrain, la bataille ne se résumera pas seulement au patriotisme et pourrait épouser des enjeux largement au-delà de l’amour des couleurs du royaume, pour se décliner en ambitions plus sonnantes et trébuchantes en tapant sur l’œil d’un club fortuné.
En jouant avec les tours et les couleurs, on en viendrait ainsi à oublier le sens des symboles, et l’emblème de la patrie ne sera plus qu’un prétexte qu’on adule ou que l’on hait pour les gains politiques ou financiers que chacun pourrait en tirer. En attendant, le Gladiateur sans frein et sans permis de conduire, indifférent au feu orange qui menace de virer au rouge depuis sa décision d’instaurer le parrainage pour limiter les couleurs de ses adversaires, roule à tombeau ouvert sur une avenue qu’il croit déjà débarrassée de ses obstacles les plus significatifs.
Dans sa course folle, le Gladiateur vient d’annoncer son intention de mettre en berne les couleurs du royaume pour enfiler une casquette de supporteur au pays des tsars après avoir :
- mis un couvercle sur la cocotte-minute des enseignants grâce aux talents de médiateur de madame,
- déclaré irréalisables les accords avec les agents du secteur de la santé,
- écrasé un étudiant qui réclamait du pain sur un espace qu’il croyait réservé à ses semblables,
- heurté un recteur trop zélé et un directeur plus soucieux des intérêts des privés que de ceux de ses propres enfants.
Ne s’agit-il là encore que d’un bon prétexte d’une visite encore « privée », pour se soustraire avec sa famille de l’incendie en gestation ? En tout cas son attachement au sport ne semble pas avéré pour justifier une telle retraite. Mais peut être gardera-t-il à portée de main, un téléphone rouge pour parer à une éventuelle catastrophe.
Pourtant si le Gladiateur ne cherchait simplement qu’à se servir du sport pour booster son audience, il n’aurait en rien inventé la pratique. La frontière artificielle entre le sport et la politique a toujours été floue. Et le sport a le plus souvent servi la politique, si ce n’est le politique qui s’en est servi à sa convenance. Des jeux olympiques de Berlin en 1936 à ceux de Moscou en 1984 en passant par ceux de Montréal en 1976, puis la coupe du monde de football en Argentine en 1978, les politiques ont toujours su manipuler l’opinion pour se tailler une tribune.
Sans chars et sans cavalerie, c’est sûrement Goorgorlu qui fera encore les frais d’un tour de plus des politiques, derrière sa tour de certitudes qu’il croit imprenable.
Les chroniques de Bandia, Mai 2018