La guerre dit-on est « une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls militaires ». La politique ne serait-elle pas aussi une chose trop précieuse pour être laissée aux seuls politiciens ? Mais qu’il est difficile de faire la guerre ou la politique sans se parer de la tenue requise ! Autant l’armée a la légitimité de mener la guerre, autant les partis politiques sont persuadés qu’ils sont les parloirs obligés des citoyens s’ils veulent se faire entendre. Pourtant, la guerre et la politique ne se font qu’au nom des populations, ne se gagnent ou ne se perdent qu’avec elles. Mais ces deux secteurs, quelles que soient leurs faiblesses, sont jaloux de leurs prérogatives et ne souhaitent nullement voir les populations jouer leurs rôles à leurs places… et peut être en jouir en cas de succès. La guerre restera donc aux militaires, et la politique aux politiciens.
C’est au cœur de cette zone de turbulence, agitée par des nuances, des subtilités sémantiques, des partages de rôles et des lignes de démarcation, que tangue le vaisseau de la démocratie. La frontière entre militaires et civils n’est pas poreuse, contrairement à celle entre populations et politiciens. Et c’est ce qui rend les choses complexes, voire compliquées. Que peuvent objectivement attendre les politiciens des populations et éventuellement de la Justice, s’ils se heurtent à des difficultés strictement politiques ? Soutenir le militaire ou le politique dans son combat ne saurait signifier prendre les armes ni entonner le slogan des partis. De toute façon, ce ne seront pas les humeurs des politiciens qui vont amener les populations ou la Justice à les rejoindre, mais bien les coups injustes qu’ils reçoivent ou lorsque les politiciens parviendront à convaincre enfin ces mêmes populations ou la Justice de leurs dispositions et de leurs disponibilités à endurer des souffrances pour leur bien-être ou leur épanouissement.
En privilégiant les armes conventionnelles contre le Gladiateur, l’opposition de Ndoumbélaan a été incapable de mobiliser à temps l’opinion contre la mise en place de l’échafaud sur lequel elle refuse aujourd’hui de monter pour être légalement… pendue. Acculée dans les cordes par une série de mesures, son invitation aux populations à enfourcher les trompettes de la contestation est-elle aujourd’hui défendable et jusqu’à quelle limite ? N’est-ce pas elle qui a accepté jusqu’ici de se « conformer à la loi », en condamnant ou en laissant condamner des citoyens maladroitement venus à leur secours : offense au chef de l’état, diffusion de fausses nouvelles, atteinte à la sécurité, etc. N’est-ce pas cette « opposition républicaine » qui a permis au Gladiateur de dompter toutes les velléités citoyennes de sortie ou de remise en cause du cadre éthiquement inacceptable dans lequel elle étouffe aujourd’hui ?
L’opposition a ignoré et même permis à « la loi » de réprimer ce qui n’était le plus souvent que des initiatives naïves de citoyens ordinaires pour faire valoir leurs droits : saccage de bureaux de votes contre les exclusions ciblées du fichier électoral, revendications syndicales, estudiantines, et scolaires, manifestation des populations contre les privations élémentaires de leurs droits, etc. Consciemment ou non, l’opposition a favorisé l’étouffement dans l’œuf des germes d’une désobéissance civile à même de faire reculer la dictature alors rampante, malheureusement aujourd’hui bien installée. Ce sont bien les politiciens qui ont freiné sept ans durant, les ardeurs de Goorgorlu en affirmant que la bataille contre le Gladiateur ne pouvait être que juridique, donc techniquement et socialement hors de ses compétences.
L’Empereur déchu et ses partisans, malgré les réserves sur la pertinence de leur combat contre le Gladiateur, restent donc la seule force capable de faire bouger les choses au stade actuel. Mais happés par la peur et/ou l’appât du gain, leur nombre qui se rétrécit comme une peau de chagrin en ferait aujourd’hui, un poids plume dans l’arène.Le soupçon supposé ou réel d’un nouveau « baara yeggo » libéral ne manquera pas aussi de peser sur la balance. Les griefs de l’opposition (trop longtemps sur la défensive), contre la gouvernance du Gladiateur, et surtout de son assaut contre les candidats au trône sont-ils recevables ? Il serait hasardeux de dire qu’il est trop tard pour arrêter le rouleau compresseur. La pluralité des facteurs endogènes et exogènes, l’infinité des facteurs économiques, historiques, culturels, et sociologiques, bref environnementaux, ne permettent pas de prévoir à coup sûr, l’évolution à courts ou à moyens termes de la crise en gestation. Les urnes cybernétiques rebelles, peuvent toujours accoucher de verdicts inattendus à tout instant, et/ou engendrer de surprenantes réactions.
Il n’en demeure pas moins, que nous avons une sociologie complexe qui tolère les coups bas, pour amoindrir l’adversaire : recours à des substances et des pratiques illicites, jusqu’à des sacrifices humains, ruses et combines pour bénéficier d’avantages indus avant le combat, etc. La place que prennent les pratiques ésotériques auprès des sportifs et des compétiteurs en général, tend à assimiler les victoires et les défaites comme un fait de puissances qui échappent à notre contrôle. Des prêches sur commande tentent régulièrement de nous convaincre que la main de Dieu serait derrière chaque bulletin de vote. Si donc un coup irrégulier permet à un tricheur de prendre le dessus sur son adversaire, c’est que les dieux sont avec lui et que les humains n’ont qu’à s’y résigner. Est-il possible alors et jusqu’à quel niveau, de mobiliser les citoyens contre les pratiques jugées frauduleuses du Gladiateur …au nom de la démocratie ?
La morale et l’esprit cartésien s’opposent aux pratiques du Gladiateur tendant à « réduire l’opposition à sa plus simple expression », à empêcher ses challengers les plus sérieux de participer à la compétition. Mais c’est aussi une pratique séculaire, peut être endémique et pas forcément perçue comme scandaleuse pour Goorgorlu. Il convient par conséquence, de jeter un regard plus autochtone à la chose, d’adapter le discours et la pratique politique à cette réalité pour être pertinent. C’est en tout cas en partie, grâce à la maitrise de ces nuances, que l’Empereur déchu faisait mouche en adaptant toujours son discours à sa cible, quitte à heurter chaque partie prise de manière isolée. Aura-t-il l’occasion, les moyens juridiques et dialectiques d’en user ? Yalla rek moo xamm.
Les chroniques de Bandia, Janvier 2019