

Dans un monde où tout se sait, se devine et se partage instantanément, le voile classique (« secrets d’Etat »), le leurre et la barricade derrière laquelle se refugiaient ceux qui décident à la place Goorgorlu, ne suffisent plus. Il faut se résoudre à gouverner dans la transparence ou à régner, c’est-à-dire utiliser la force pour se faire accepter. Mais le slogan « force restera à la loi » devient une illusion quand un peuple ou une partie d’un peuple en décide autrement. Et il ne s’agit pas de nuances ou d’un simple jeu de mots. Une loi n’a de sens que lorsqu’elle se définit comme une règle et/ou une somme de règles de vie, bâtie sur un consensus. Elle ne peut s’imposer à une minorité ou à une majorité que lorsqu’elle l’a jugé logiquement conforme à la raison et/ou à l’équité.

La résistance (passive ou active) n’est pas forcément liée à un rapport de forces mais plutôt à la culture et au sens que chacun se fait de l’honneur et de la dignité, de sa disposition ou non à se soumettre à un état de fait contraire à sa volonté. Même si les chances de succès sont inégales, la lutte contre la minorité de l’apartheid menée par la majorité des sud africains, n’était ni plus légitime ni plus juste que celle des minorités Rohingas en Birmanie. La dialectique fait des acteurs et de leurs capacités des paramètres limités dans le temps et dans l’espace, alors que l’esprit qui les met en mouvement est lui immortel. Si les canons des colons ont eu raison des flèches des résistants africains, c’est l’esprit de Lat Dior et de Samory Touré entre autres, qui a germé et enfanté l’indépendance de nos pays.

Au-delà de sa volonté égoïste de garder le pouvoir par tous les moyens, le combat de la caste qui trône à Ndoumbélaan n’est pas seulement d’amener Goorgorlu à l’accepter, mais surtout de tuer son esprit de résistance, de dissoudre sa dignité et son patriotisme par la peur et la corruption. S’appuyant sur une brochette hétéroclite de politiciens (de l’extrême gauche à l’extrême droite), le Gladiateur est parvenu à neutraliser une large gamme d’hommes et de femmes qui l’approuvent en public en continuant à se demander en privé comment en sont-ils arrivés à ce stade de déchéance. Il a façonné sans le revendiquer une culture de l’égoïsme, de la peur et du larbinisme, loin de notre imaginaire collectif et des valeurs dont nous nous revendiquions. Et beaucoup d’hommes et de femmes, sous la contrainte ou pour l’appât du gain, sont descendus à un stade que n’auraient jamais pu imaginer leurs géniteurs. Le résultat d’un tel état de fait sur notre jeunesse est catastrophique. Bas donc les pattes, souteneurs, collabos et transhumants ! Vous n’êtes pas seulement entrain de déprécier le fruit de l’honneur, mais vous en brulez les semences, et empêchez à d’autres générations de les perpétuer.

A Ndoumbélaan, « la loi a été dite », exactement comme l’avait prédit et voulu le Gladiateur, en n’autorisant qu’à une poignée de citoyens, le droit de demander le suffrage des Goorgorlus. Faudra-t-il que la force en assure l’application ? Goorgorlu l’acceptera-t-il ? S’y opposera-t-il et jusqu’où sera-t-il prêt à en assumer les conséquences ? Les acteurs politiques, trop longtemps persuadés de l’efficacité de la justice pour mettre un terme au rouleau compresseur du Gladiateur, sont maintenant convaincus que ce ne sera pas le droit qui va arbitrer leur différend. Après les « lewatoo » et les « cokaas » pour évaluer les forces en présence, faits de « marches pacifiques » noyées dans des gaz lacrymogènes, de « déclarations politiques » ayant entrainé des séjours en prison pour « offense au chef de l’Etat ou à des magistrats », le temps du combat dit strictement politique semble avoir sonné.

Passés au laminoir, leurs ambitions moulues et dissoutes dans le « mbana » du Gladiateur, certains politiciens dans le désarroi jettent les armes, d’autres invitent au boycott ou en appellent à l’insurrection. Mais, ont-ils posé le problème avant de projeter les solutions ? Longtemps ignoré, Goorgorlu dont le combat singulier a toujours été celui de la démocratie économique et sociale (droit à la DQ), est-il prêt à aller aussi loin dans la lutte pour la démocratie politique ? C’est-à-dire celle qui permet à une caste de se succéder a elle-même, en comptant ou en enrôlant des voix de ses congénères, toujours disposés «à changer de maître dans l’espoir d’améliorer leur sort » ? (Nicolas Machiavel ; in Le Prince). Il est en tout cas peu probable qu’un éventuel « soulèvement populaire » souhaité par l’opposition, soit le résultat d’un simple mot d’ordre lancé depuis la capitale. Et accuser Goorgorlu de refuser de servir de chair à canon dans l’espoir d’améliorer son sort, serait tout simplement lui faire un mauvais procès.

Les naïfs qui prétendaient que la démocratie était une affaire de gentlemen, comme le sport une question de fairplay, semblent avoir perdu leur assurance. Comment croire que ceux qui détiennent le pouvoir, pourraient accepter de troquer « civiquement » leurs titres et leurs passeports diplomatiques contre leurs papiers d’état civil d’hier, jaunis par la sueur et la poussière des bazars ? Illusion !!! Tous les pouvoirs sont grisants. Euphorisants ou déprimants, ce sont des drogues auxquelles on renonce rarement de son propre gré.

Malgré tout le respect dû aux conteurs d’histoires, c’est le rapport de forces qui a imposé aux tenants du pouvoir une lecture juste des résultats des urnes, qui ont permis les alternances. Les revenus que peut générer une victoire, les faillites que peut engendrer une défaite électorale, sont tels que les acteurs ne se plient que contraints et forcés par les résultats des urnes (s’ils acceptent de s’y soumettre). Autrement il faut se préparer au chaos, et nous n’en sommes pas loin. Les poignées de mains historiques n’ont jamais été autre chose que la reconnaissance d’un rapport de forces.
Les chroniques de Bandia, Janvier 2018