Quelles contributions de la Médecine Traditionnelle dans la Couverture Sanitaire Universelle ?

La  Médecine Traditionnelle, c’est l’ensemble des connaissances, techniques de préparation et d’utilisation de substances, mesures et pratiques en usage, applicables ou non à l’état actuel de la science, qui sont basées sur les fondements socioculturels et religieux des  communautés s’appuyant par ailleurs sur les expériences vécues et les observations transmises de génération en génération, oralement ou par écrit ,et qui servent à diagnostiquer, prévenir ou traiter un déséquilibre du bien-être physique, mental, social ou spirituel (OMS ,2013).

A travers le monde, la médecine traditionnelle (MT) constitue soit le mode principal de prestations de soins de santé, soit un complément à ce dernier. Dans certains pays, la médecine traditionnelle ou non conventionnelle est appelée  médecine complémentaire (MC).

La MT constitue un pan important et souvent sous-estimé des soins de santé. Elle existe  quasiment dans tous les pays du monde et la demande de soins dans ce domaine est en progression. La MT, dont la qualité, la sécurité et l’efficacité sont avérées, participe à la réalisation d’un accès aux soins universels. Aujourd’hui, de nombreux pays reconnaissent la nécessité d’adopter une approche cohésive et intégrative des soins de santé qui permette aux pouvoirs publics, aux professionnels et aux populations d’avoir accès à une MT/MC qui soit sûre, respectueuse, efficiente par rapport aux coûts et efficace.

C’est ainsi que la stratégie mondiale de l’OMS pour la médecine traditionnelle (2014-2024) a fait le point et définie la ligne d’action de la MT/MC dans sa contribution à la Couverture Sanitaire Universelle (CSU).

Il s’agit d’atteindre toute la population (couverture de la population), qui doit bénéficier de la gamme complète de soins médicaux adéquats (couverture en termes de soins) tout en bénéficiant d’une protection financière appropriée (couverture financière).

Lors de la 65e Assemblée Mondiale, l’Ancienne Directeur Général de l’OMSDr MARGARET CHAN avait affirmé « la couverture universelle est le meilleur moyen de pérenniser les progrès réalisés. Elle est l’expression ultime de l’équité avant d’ajouter qu’il ne faut pas opposer la médecine traditionnelle à la médecine moderne. Dans le contexte des soins de santé primaires, les deux peuvent se compléter harmonieusement ».

40 ans après Alma-Ata, la situation sanitaire n’est guère reluisante au niveau mondial. Des millions de personnes sont privées de services de santé nécessaires. Des millions d’autres personnes souffrent de difficultés financières profondes, car elles doivent payer pour les services de santé au moment où elles doivent en bénéficier. Environ 150 millions de personnes font face, chaque année, à des coûts de soins de santé catastrophiques et 100 millions d’individus sont rejetés dans la pauvreté chaque année (OMS)

En Afrique, les systèmes de santé sont caractérisés par la rareté des ressources et une performance qui laisse à désirer, avec une qualité non satisfaisante de l’offre de santé et des mécanismes embryonnaires de protection sociale. Les indicateurs sanitaires, particulièrement les taux de mortalité juvéno-infantile et maternelle sont au plus bas. 

Il y a également une forte concurrence dans la mobilisation des ressources aussi bien à l’intérieur du secteur de la Santé qu’entre les différents ministères. L’efficience doit être recherchée et dans ce cadre, la santé communautaire et notamment la Médecine traditionnelle pourrait être d’un grand apport.

La couverture sanitaire universelle (CSU) vise, avant tout, à réduire les inégalités d’accès aux soins, surtout en zone rurale.

L’orientation encore trop curative de notre système sanitaire se traduit par la prise en compte insuffisante de la multisectorialité et des aspects promotionnels ayant trait aux déterminants sociaux de la Santé.

Si on considère que les déterminants sociaux de la santé sont les circonstances dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent ainsi que les systèmes mis en place pour faire face à la maladie et que la promotion de la santé est un processus qui confère aux individus et aux communautés davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens pour l’améliorer, force est de reconnaître et d’admettre que la médecine traditionnelle peut contribuer à asseoir la CSU dans notre pays. 

L’appropriation de la CSU par les communautés laisse encore à désirer et se traduit par des gaps en termes d’information surtout au sein des couches sociales les plus modestes et qui en ont le plus besoin.

L’approche d’implémentation de la CSU doit être contextualisée en privilégiant de larges concertations. Il faut, d’ores et déjà se féliciter de la tenue, le 17 décembre 2017, d’un forum national sur la mobilisation des ressources pour le financement de la santé en vue de la couverture sanitaire universelle, toutefois regrettons la non implication des acteurs de la Médecine traditionnelles dans les concertations.

La meilleure façon de rentabiliser les financements de notre politique sanitaire consiste à renforcer l’approche préventive et promotionnelle d’où l’implication de la Médecine Traditionnelle. Il faut promouvoir la multisectorialité, en agissant sur les déterminants sociaux de la santé. Cela va conduire les populations à adopter des comportements favorables à la Santé, en vue de réduire la charge de morbidité.

L’OMS reconnait qu’une bonne santé est essentielle à un développement économique et social soutenu et à la réduction de la pauvreté.

Aujourd’hui, la question que l’on doit se poser est de savoir comment la MT pourrait contribuer à la couverture sanitaire universelle en améliorant les services de santé, en particulier pour les soins de santé primaires.

L’insuffisance de l’accès aux médicaments essentiels, le faible pouvoir d’achat des populations, la légitimité sociale et culturelle de la communauté au sein de laquelle elle     s’exerce, justifient l’engouement sans cesse croissant de la médecine traditionnelle.

Actuellement, le continent africain produit moins de 5% des médicaments que consomment ses populations alors que 95% sont importés révèle PROPARCO filiale de l’Agence Française de Développement dans son rapport 2018 intitulé « le médicament en Afrique : répondre aux enjeux d’accessibilité et de qualité ».

D’après le Cabinet Mckinsey, le volume des médicaments importés sur le continent est passé de 4,7 milliards  USD en 2003 puis 20,8 milliards USD en 2013 et devrait atteindre entre 40 et 65 milliards USD en 2020.

La progression témoigne du fort besoin des populations africaines en médicaments. Ainsi l’Afrique consacre une part importante de ses ressources financières à l’achat des médicaments dans les pays développés ce qui contribue à un déséquilibre de la balance commerciale et au développement des marchés parallèles. Les besoins en devises pour l’achat de médicaments, si on n’y prend pas garde, risque d’atteindre des niveaux insupportables pour nos économies déjà très éprouvées par l’inflation. Pourtant l’Afrique peut tirer grand profit de la MT grâce à la conjugaison de sa richesse botanique, l’héritage médicinal  transmis au fil des années, et les recherches scientifiques modernes, résolvant ainsi nombre de ses problèmes de santé. 

Au-delà de garantir l’accès d’un plus grand nombre aux soins de sante de qualité, la MT peut également être une richesse financière importante pour les Etats  Africains au regard de la forte demande en médicaments abordables. Dans son dernier rapport de recherche, Market Research  Future (MRFR) indique que le marché mondial des médicaments à base de plantes devrait atteindre un volume de plus de 129 milliards USD d’ici 2023 avec un taux moyen de croissance annuelle de 5,88% sur la période de prévision en 2018-2023.

L’OMS estime que près de 80% des populations africaines ont recours en première intention de soins à la médecine traditionnelle et aux remèdes issus de la pharmacopée traditionnelle. Ainsi, on dénombre toujours d’après l’OMS un praticien de la médecine traditionnelle pour 500hbts contre 1 médecin pour 40.000 hbts. La médecine traditionnelle  étant fortement ancrée   dans la culture africaine, les populations surtout en milieu rural, y sont particulièrement attachées. A ce titre, les praticiens de la médecine traditionnelle peuvent jouer  un rôle important dans les activités préventives et promotionnelles.

Si on part du constat que l’amélioration de l’accessibilité aux soins de santé reste l’objectif de la médecine traditionnelle et de la mutualité, l’imbrication de ces deux axes permettra d’atteindre le but visé c’est à dire l’amélioration de l’accessibilité. 

Le rôle des Praticiens de la Médecine Traditionnelle ( PMT ) en tant que responsables communautaires est reconnu et accepté .Leur aptitude à communiquer dans des domaines touchant à la sante  et à la vie sociale et une ressource qui peut être utiliser dans les activités de promotion de la sante communautaire.

En se trouvant dans une position unique en tant que notables de la communauté, mobilisés et sensibilisés, les PMT peuvent participer aux programmes de sante mis en œuvre pour une meilleure prise en charge des besoins en matière de santé des populations.

Du fait qu’ils sont à l’avant garde de la lutte contre les maladies et qu’ils sont nombreux et totalement intégrés à leur communauté, les PMT peuvent faciliter la pénétration de la mutualité chez les populations et peuvent contribuer à sa massification et ainsi participer à régler un des déterminants importants de la problématique du développement des mutuelles de santé à savoir la faiblesse de leur base d’implantation.

La CSU a pour finalité  de permettre l’accès des soins  à des services de santé préventifs, curatifs ou de réadaptation qui soient de qualité et efficace.

Le Sénégal qui s’est engagé depuis quelques années à mettre en place et exécuter un programme de couverture  maladie universelle (CMU), doit explorer et exploiter cette piste pour non seulement améliorer l’état de sante des populations, l’accessibilité financière des  soins de sante mais aussi assurer une promotion des mutuelles de santé communautaires. L’accessibilité des soins et la couverture des besoins en santé des populations peuvent être atteintes si la MT et la mutualité s’investissent et s’articulent en tenant compte des possibilités qu’elles offrent. Dans notre pays, il faudra mettre à profit la contribution de la MT à la sante et au bien être  des populations et favoriser un usage sûr et efficace  au moyen d’une règlementation des pratiques, des produits et des praticiens en vue de renforcer la sécurité, la qualité et l’efficacité d’une part et d’autres part promouvoir une couverture sanitaire universelle en intégrant la MT.

Pour faire la couverture universelle, l’axe majeur est la disponibilité d’une offre de santé de qualité. Même si à l’état actuel dans notre pays, se pose la problématique de la légalité de la médecine traditionnelle, l’égalité s’entendant  » reconnaissance ou légalisation comme partie prenante de l’offre officielle de santé  » même si tout le monde semble s’accorder sur son importance en tant que premier recours pour une grande partie voire la majorité de nos concitoyens. 

Ainsi les axes suivants de collaboration entre la MT et la CMU sont proposés :

-les PMT sont détenteurs d’un leadership incontesté car la validation solide de leurs capacités  par les pairs constitue un critère de sélection important. De ce point de vue, les ériger en promoteurs constituent une valeur ajoutée certaine  pour le développement des mutuelles de santé ;

-ce partenariat peut constituer un atout pour la mise en œuvre de l’axe stratégique important pour le développement de la mutualité sante, à savoir le rôle de la communication ; les PMT peuvent aider dans l’information, la sensibilisation des populations ;

– préciser les  types de relations qui doivent exister entre la mutuelle de santé comme institution de financement  des soins et les PMT qui sont des producteurs de soins ? En d’autres termes entrevoir des arrangements contractuels (dans les limites de la légalité) entre cette nouvelle catégorie de producteurs de soins de notre système de santé et les consommateurs  par l’interposition des mutuelles de santé ;

-la capacitation surtout orientée dans le sens de la connaissance de la mutualité peut aider à mettre à profit les avantages comparatifs des actions des PMT qui ont une bonne occupation spatiale du pays ;

-développer la recherche orientée dans le sens de la compréhension de ce taux élevé de la fréquentation des PMT par les populations. Quels sont les déterminants de cette forte fréquentation ?

Au Sénégal, le recours à la MT, reste pour le moment la façon la plus utilisée par les populations pour se soigner.

 Dans un souci de relever et d’élargir le niveau de la protection sociale afin de réduire les inégalités devant les risques socio-sanitaires, il devient judicieux et pertinent de réfléchir et de développer un nouveau type de partenariat entre la MT et les mutuelles de santé. Il faut étudier et identifier les meilleurs moyens de développer le rôle important des PMT et de les associer dans la prestation des services de sante surtout au plan communautaire.

En les informant correctement, ils peuvent être des partenaires efficaces en matière de distribution de soins.

A cet effet le développement d’un partenariat effectif entre la MT et la mutualité doit être un impératif en vue de renforcer l’ancrage des mutuelles de sante au niveau communautaire et dans la mise en œuvre des programmes prioritaires de sante.

Comme le rappelait le Dr Matshidiso MoetiDirectrice Régionale de l’OMS Afrique,  « l’objectif ultime reste et demeure la couverture sanitaire universelle dans les pays africains à l’horizon 2030 (ODD 3). C’est le meilleur moyen d’améliorer la santé pour tous .Pour cela, l’engagement des pays africains l’ors de l’Assemblée générale des Nations Unies doit être matérialisé par la mise en œuvre de mesures concrètes et des actions au niveau des systèmes nationaux de santé et des ressources propres dédiées à ces actions. La médecine traditionnelle n’en est qu’une partie, même si elle en est une partie importante ». 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                   Alioune AW

Ancien Coordonnateur de la Cellule de Médecine Traditionnelle

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