
Le 1er décembre renvoie toujours à Thiaroye 1944. Les soldats avaient quitté leur terre africaine et étaient partis apporter leur aide à une France mal en point. Ils rentrent au bercail et réclament légalement leur solde. On tire à bout portant sur eux. 35 morts déclarés officiellement. Plusieurs centaines officieusement.
Pourtant, quelques mois plus tôt, le 30 janvier 1944 à Brazzaville, de Gaulle saluait l’effort de ces vaillants soldats qui avaient aidé dans « d’importantes proportions » les Alliés. Thiaroye 1944, c’était du « jaay doole ». Sembene Ousmane a immortalisé ce moment douloureux dans un film dont l’histoire est en réalité tirée d’une pièce de théâtre écrite par Boubacar Boris Diop et que Ben Diogaye Beye avait voulu réaliser.
Le 1er décembre, c’est aussi la répression de 1963. Il fallait « réduire l’opposition à sa plus simple répression ». Senghor remporte les élections par 100% des suffrages! Un score à la soviétique.Très fortes contestations. Répression féroce : 40 morts officiellement. 100 morts, un peu plus de 200 blessés et 500 arrestations officieusement. La France – encore elle – apporte son aide logistique pour mater les manifestants. Un hélicoptère envoie des lacrymogènes aux étudiants. Interrogé, le président Senghor rétorque sèchement : « C’est l’opposition qui a tiré en premier ». »Un point, un trait », aurait dit l’actuel président.
Le même Senghor avait pourtant pleuré le sang versé des soldats de Thiaroye : « Sang, sang ô sang noir de mes frères, vous tachez l’innocence de mes draps ». Comme en 1944, le 1er décembre 1963 c’était aussi du « jaay doole »En 1968, Senghor qui ne veut toujours pas d’une opposition, récidive : 100% des suffrages! C’était encore du « jaay doole ».
En 1973, autre élection. Senghor, qui ne veut vraiment rien céder, est déclaré vaincu avec…100% des suffrages! « Jaay doole » ne pouvait être plus manifeste.Les sources de la violence politique, l’histoire en regorge. Elles sont dans cet hyper présidentialisme qui concentre tous les pouvoirs entre les mains d’un homme, lequel devient un demi-dieu capable de faire plier toutes les institutions.
Senghor, dans une tentative laborieuse de justification du « président-demi-dieu », disait à qui veut l’entendre que « chez les peuples fluctuants, à affectivité volcanique, et à réaction immédiate, il faut un pouvoir, c’est-à-dire, un exécutif fort, et non partagé, encore que démocratique, pour maintenir l’autorité de l’État ».Notez que le terme « démocratique » n’est ici utilisé que pour donner un semblant d’ouverture.
Une des sources de la violence, c’est aussi le fait que les règles encadrant les mandats présidentiels soient définies, non à l’avance, mais en cours de mandat. Une autre source de la violence, c’est également le fait qu’un ministère s’érige, à la fois, comme juge et partie pour organiser des élections, entretenant le fou sur un fichier électoral présenté à 10 jours des élections aux opposants.
Le « Jaay doole » qui a rendu possible Thiaroye 1944 est au cœur de notre système politique. Malheureusement, comme disait Mandela, « c’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé qui détermine la forme de lutte. Si l’oppresseur utilise la violence, l’opprimé n’aura pas d’autre choix que de répondre par la violence ». Cette violence ne peut jamais être éradiquée définitivement. Elle est inhérente à la vie. Dans le terme « violentia » il y a « vis ».
Mais, en notre âme et conscience, nous savons ce qu’il faut faire pour, non pas supprimer la violence, mais réduire ses manifestations « à leur plus simple expression ». Il faut tout simplement un État de droit. Il faut faire valoir la justice et la vérité : les liens élémentaires de toute société, selon l’Anglais John Locke.
NB : Cet ancien journal politique de l’opposition montre que le « jaay doole » a longtemps été érigé en règle de gouvernement. Nous en vivons encore les manifestations.