PRESENTATION DU LIVRE DE FADEL DIA

PRESENTATION DU LIVRE DE FADEL DIA

 Vendredi 24 février 2023

Cet ouvrage est une autobiographie.

Par son titre il fait également l’ éloge d’un mode de vie que la modernité et des valeurs venues de l’extérieur ont bouleversé sans l’avoir totalement anéanti.

Ce que nous savons de son autobiographie se résume ainsi : son enfance, l’observation des femmes et des hommes qui vivent dans la demeure familiale et ceux qui la fréquentent, ses caprices de benjamin momentané surtout aux heures de repas, ses camarades du quartier des pêcheurs, les deux écoles coraniques, l’école primaire et la figure emblématique de l’instituteur, ses débuts de lycéen et ses premiers pas de prof.

Le lecteur n’apprendra donc rien, dans ce livre, sur les différents aspects de sa vie d’adulte.

Dans l’avant- dernier chapitre du livre, faisant une sorte de bilan de son récit, Fadel Dia utilise l’expression « cette autobiographie familiale. »

Il entend par – là les modes d’existence de cette vaste communauté qui s’est construite autour de ses lignées paternelles et maternelles, véritable toile de fond à partir de laquelle sont distribués la plupart des événements que l’auteur narre, les rôles et les statuts d’hommes et de femmes qui comptent à ses yeux. En dehors de la préface qu’il a bien voulu me confier et d’un préambule dans lequel il explique son projet et sa démarche cette saga riche et foisonnante est composée de 27 chapitres et d’un lexique des termes de la lange Pulaar dont il s’est servi.

Ce livre ne comporte pas d’album de souvenirs. Ce n’est évidemment pas indispensable pour atteindre le but recherché.

Toutefois la couleur bleue de la couverture pourrait être un clin d’œil attendri de l’auteur à trois symboles : la culture de l’indigo familière aux populations du Fouta ; l’activité de teinturière exercée par sa mère pour s’assurer les moyens d’effectuer son pèlerinage à la Mecque ; et la seule couleur des vêtements de son père, à part le blanc.

Je m’égare peut- être et ce pourrait être, plus simplement, un choix de l’imprimeur faute d’avoir une image vivante d’illustration.

Toujours dans le registre des interprétations on pourrait mettre cette omission volontaire d’album- souvenirs ainsi que la limitation de son autobiographie à son enfance et à son adolescence, sur le compte d’un trait de caractère qui lui viendrait de son père tel que celui- ci apparait dans ce livre : un homme peu enclin à l’ostentation.

Pourtant certains de ses lecteurs n’auraient pas été mécontents de découvrir ou redécouvrir certains visages d’hommes et de femmes dont il est question dans ce texte et que leurs descendants, parents ou alliés n’ont pas eu la chance de connaitre.

Et cela pour une raison simple que j’ai indiquée à la fin de la préface : ce livre a valeur d’archive, c’est à dire ce qui sauve de l’oubli.

Par exemple les photographies de son père et de sa mère. Et celle, unique , de celui qu’ il appelle invariablement « mon grand- père maternel » , un des hommes capitaux de sa famille et de ce récit , l’ homonyme de tous les Cheikh Hamidou avec lesquels Fadel partage cette ascendance , photo qui montre combien le vieil homme sur le boubou duquel on avait fini par épingler la légion d’ honneur , semble contrarié et se détourner de l’ objectif de l’appareil.

Le rappel à Dieu de sa mère et celui de son père, respectivement au début et à la fin de cette biographie – alors que, chronologiquement, c’est l’inverse qui s’est produit – ouvrent et ferment ces 660 pages de confession d’un octogénaire qui essaie, autant que possible, de regarder son passé avec les yeux de l’enfant et de l’adolescent qu’il a été.

Son père et sa mère sont les seules personnes dont les prénoms, et seulement les prénoms, sont explicitement mentionnés, une seule fois, sur la page où il leur dédie cet opus.

  • Ce livre est en effet essentiellement un hommage affectueux et admiratif à ses deux géniteurs. Cet hymne à leur complémentarité et aux deux modèles qu’ils constituent première ligne de force qui traverse de part en part cet ouvrage.
  • La deuxième est constituée par la vie et l’imaginaire nés de la personnalité d’ancêtres tutélaires de l’auteur, deux Alpha et un Ceerno, dont les descendances respectives, par une alchimie dont Dieu seul a le secret, ont produit entre autres ce qui se trouve au cœur de cette biographie.
  • Il est une troisième ligne de force aussi prégnante que les précédentes : le procès de la colonisation. Cette critique systématique de la présence coloniale ne semble trouver grâce aux yeux de l’auteur, et encore fort partiellement, qu’à propos de l’institution scolaire dans ses aspects strictement techniques d’apprentissage et non celui de l’éducation dont la finalité apparait comme une menace pour la personnalité des apprenants et l’âme des populations.

Par touches successives distribuées tout le long du texte il montre ce que sa lignée maternelle doit à une habitude précoce de fréquentation de cette école « étrangère ».

Le cas singulier de son père dont la famille est longtemps demeurée rétive à tout commerce avec l’ ordre colonial et qui , sous la pression , finira par aller à l’ école , recevra une formation à l’ École des Fils de Chefs et exercera les fonctions de chef de canton , est emblématique de la perception que les populations du Fouta avaient de cette institution scolaire imposée ; et ce cas singulier constitue une autre raison pour expliquer l’ indulgence de Fadel à l’ endroit de cette seule institution scolaire .

Je voudrais à présent dire quelques mots sur la méthode et les artifices dont notre auteur, historien- géographe de son état, écrivain et essayiste bien connu, se sert pour construire son propos.

Le traitement qu’il fait du cadre spatio- temporel de ce récit rappelle certaines techniques du langage cinématographique : des scènes alternées du lointain et du proche géographique et historique : l’évocation de l’histoire du Fouta à travers les dynasties successives qui l’ont gouverné, la conquête coloniale ; les figures emblématiques de la résistance, la saga omarienne.

Mais c’est toujours pour éclairer l’espace ayant marqué la vie de trois maisons emblématiques entre lesquelles se répartissent les événements et les êtres qui alimentent les souvenirs de Fadel Dia : les deux sont à Matam et se font face dans la même rue ; la troisième se confond presque avec le village d’ origine de son père.

Pour n’avoir pas été sa résidence principale cette localité n’en sera pas moins son lieu de sépulture. Parmi les artifices les plus remarquables de ce récit de vie il y a d’abord le mode d’identification des personnages et des lieux. Il ne les désigne pas par des noms propres, il se sert de périphrases.

Modèle du genre : « le frère ainé de mon grand- père maternel »; « la plus jeune de mes sœurs » ; « la sœur ainée de ma mère ».

Ou bien encore, dans un autre registre, « notre bourgade », « la capitale de la colonie » ; « le pays situé à l’est de notre bourgade».

Je ne lui ai pas demandé ce qui a motivé ce choix et j’en ai cherché l’explication dans quelques directions.

La première : chez des philosophes et des logiciens qui ont longuement débattu de ce qu’ils appellent « La logique des noms propres ». Et comme vous pouvez vous en douter ils ne sont pas d’accord sur les réponses à donner à la question centrale de leur dispute, ce qui tout compte fait est leur raison d’être, autrement ils fermeraient tous boutique. Quels sont les critères d’exactitude et de certitude pour identifier une personne ou un lieu ou exprimer la vérité ?

La position de ceux qui pourraient apporter de l’eau au moulin de Fadel Dial consiste à soutenir ceci :

  • Le nom propre est certes pratique, usuel, mais il est purement conventionnel, rien ne l’attache de manière nécessaire à ce qu’il désigne. Il suffit, par exemple, d’une homonymie pour brouiller les repères. Ou bien encore que la même personne soit affublée de plusieurs appellations.
  • Par contre identifier une personne par une description définie du genre : « l’homme de l’appel du 18 juin » pour désigner la personne qu’on appelle Charles De Gaule ; ou bien dire « l’auteur de l’Aventure ambiguë » pour faire référence à celui qu’ on appelle Cheikh Hamidou Kane , est un procédé ayant le mérite d’ avoir une signification et d’ être vraie en toute circonstance et « dans tous les mondes possibles ».

En d’autres termes, ici, demain, en Alaska, sur la lune ou sur mars, « l’auteur de L’os de Mor Lam » est, et sera toujours, celui que l’état civil a enregistré sous le nom de Birago Diop.

J’ai scruté le livre de Fadel Dia dans tous les sens : ce recours aux « descriptions définies » a très bien marché dans son texte : pas de confusion, pas d’ambiguïté. Autre hypothèse pour comprendre le choix de ce procédé : le souvenir de celui par lequel le directeur de l’école élémentaire de Matam, ancien élève de l’École normale William -Ponty de Gorée, son cousin, beau-frère et charismatique maitre pour une courte période, composait lui-même des textes adaptés à la culture des jeunes élèves.

Deuxième type d’artifices dans la façon d’écrire de Fadel Dia : il n’a cure des frontières académiques qui séparent les disciplines et navigue allègrement, dans tous les sens, entre histoire, ethnologie, anthropologie, mythes et légendes.

L’absence de dates et le télescopage entre roman, monographie, conte, récit historique et essai philosophique constitue une des principales caractéristiques de cette grande fresque.

Troisième type d’artifice : ce livre est une véritable galerie de portraits. Il privilégie notamment le contraste voire l’opposition des caractères des personnes, des lieux, des statuts et des institutions.

Quelques exemples :

  • Les portraits de son père et de sa mère qu’il distille tout le long de l’ouvrage portent sur les différences de leurs traits physiques, leurs origines ethniques, le partage de leurs responsabilités en matière d’éducation des enfants, leurs modes d’expression des sentiments face notamment aux événements douloureux, la mort en particulier.

On pourrait dire, en usant d’une métaphore spatiale que, fondamentalement, sa mère incarne le modèle des relations horizontales, celles de la proximité, de l’affection et de la tendresse ; et son père celui de la verticalité non seulement du fait de sa grande taille, mais aussi par son autorité, une certaine distance et beaucoup de réserve.

  • C’est sur ce PATRON qu’il élabore les autres portraits de personnes, de localités et de groupes ethniques, classables par couples et donc autant de paires pertinentes.
  • OPPOSITION entre le Jeeri et le Waalo : terres non inondables / terres inondables.
  • OPPOSITION entre Pullo et Toorodo.

Le premier, nomade, pratiquant un culte de la vache et du lait, ainsi qu’un certain paganisme résiduel, longtemps réticent à l’islamisation, à la colonisation et à l’école française.

Le deuxième, cultivateur sédentaire et principal bénéficiaire de la révolution théocratique initiée par Thierno Souleymane Bal pour devenir la classe dominante.

  • OPPOSITION entre YIRLAABE ET BOSSEYAABE : c’est le vecteur le plus constant des subtilités par lesquelles, au gré des circonstances, Fadel Dia navigue entre les deux modèles représentés par son père et sa mère.
  • OPPOSITION entre L’École coranique et l’École française.

Deux modèles de maitres ont contribué à la formation initiale de Fadel Dia dans ces deux institutions que tout semble opposer :

  • le frère ainé de sa mère fut son principal maitre coranique. Bien qu’ ayant fréquenté l’école des Blancs et fait carrière dans l’ administration le vieil homme a essayé , très subtilement , de freiner l’ engouement de son jeune neveu pour l’ l’ école française : d’ une part pour le protéger de ce qu’ il pense être les méfaits de l’ acculturation dont cette école « étrangère » est capable ; d’ autre part pour exaucer le vœu le plus cher de la mère de l’auteur : voir son fils devenir, comme son grand- père maternel, un érudit et un éducateur en islam.

Comme quoi Fadel Dia est peut- être passé à côté d’une vocation qui lui aurait offert, de nos jours, en plus d’une très grande notoriété, un pouvoir d’achat supérieur à celui d’un enseignant de l’école publique à la retraite et, cerise sur le gâteau, une sorte d’assurance- tout- risque pour une place de choix au Paradis.

  • Deuxième modèle de maitre : l’instituteur : figure de l’homme – orchestre, admiré par les potaches autant pour son savoir que pour son port vestimentaire, à l’européenne, et chez l’un d’entre eux, des manières de dandy.
  • Autre type d’OPPOSITION : celle de Almuudo Ngay et de Coolo.

 Ce sont deux genres différents de bouffons et de troubadours mais qui exercent en définitive une même fonction d’exutoire pour la collectivité.

Le Almuudo Ngay est un homme instruit, issu de l’école coranique dont il maitrise les textes et qui , délibérément, pour une courte période ,choisit de revêtir la figure de l’ amuseur public et du déviant avec d’ autant plus d’ assurance et d’ entrain qu’ il est craint pour ses écarts de langage et ses incantations qu’ il prétend tirer de son savoir.

Le Coolo est quant à lui, un libertin total, sans référence à aucun code particulier, truculent, souvent excessif mais non dépourvu ni du sens de la mesure ni de cette part d’humanité qu’est notamment l’affection.

C’est le cas de ce spécimen que Fadel Dia décrit avec soin et qu’il m’est arrivé de rencontrer deux ou trois fois à Matam.

Dans une société où tout ne peut pas se dire publiquement et où le langage est strictement encadré par les règles de la morale, de l’éthique et de la pudeur, la fonction du Coolo et du Almuudo Ngay est celle d’un espace d’anarchie tolérée pour servir de catharsis collective.

  • UN DERNIER EXEMPLE D’OPPOSITION : deux types d’esclaves de cases au service du « grand- père maternel », le vieux Juge.

Ce sont deux femmes doué d’une forte personnalité, à l’éloquence et au savoir- faire admirés en dépit de leur condition servile.

La première est une révoltée qui, au bout de quelques années de bons et loyaux services, s’est émancipée. Devenue libre elle a pris progressivement ses distances avec ses anciens maitres sans toutefois se couper totalement d’eux.

La deuxième est restée attachée à la famille.

Ses qualités humaines et la longévité de cette fidélité lui ont valu de devenir l’épouse du patriarche devenu veuf et donc une femme encore plus respectée par les enfants de son prestigieux époux, longtemps après le rappel à Dieu de ce dernier.

PARMI LES ARTIFICES DE SON ECRITURE je signale, sans le développer, que ce texte est cousu de termes , aphorismes, maximes et dictons de la langue Pulaar dont l’ auteur s’emploie à expliquer la signification non sans rappeler que , la plupart du temps , ces expressions sont sans équivalent dans d’ autres langues connues de lui. En particulier chaque chapitre est introduit par un aphorisme comme si l’auteur voulait faire tenir le rée dans une formule.

QUE NOUS APPRENNENT D’AUTRE CES MEMOIRES DE FADEL DIA SUR LUI- MEME ET SUR SA FAMILLE, PUISQU’ IL S’AGIT A LA FOIS DE LA MEME ET D’UNE DOUBLE BIOGRAPHIE ?

En privilégiant ce qu’il a appelé « biographie familiale » il semble se conformer à un postulat: la primauté du collectif sur l’individuel pour expliquer et éclairer sa vie personnelle par celle de cette communauté à laquelle il appartient.

Plus haut j’ai indiqué les lignes de force, la trame généalogique et les fondements culturels sur la base desquels se dégage cette vie collective.

Je voudrais pour terminer insister sur un aspect de ce récit relatif à la vie de relation entre membres d’une même famille, parents et alliés, vie de relation d’une SAVEUR PARTICULIERE, immatérielle mais épanouissante et qui donne sens et valeur au VIVRE- ENSEMBLE.

Dans beaucoup de sagesses anciennes se trouvent formulées et recommandés des techniques individuelles de maitrise de soi en vue de bien se conduire et vivre en groupe.

Par exemple la tempérance, l’hygiène de vie, la frugalité, la distinction entre plaisirs nécessaires et ceux qui ne le sont pas, l’usage de la raison.

Il s’agit de pratiques individuelles fondées sur la connaissance de soi en vue de se commander soi – même, préalable important pour se soumettre éventuellement à d’autres lois et pour entrer en relation avec autrui dans les meilleures conditions.

Le titre de l’ouvrage, La vie était lente et douce, renvoie à une certaine qualité du vivre -ensemble, dans la société traditionnelle en général, dans la famille de l’auteur en particulier.

L’analyse des techniques par lesquelles se réalise ce VIVRE ENSEMBLE permet de voir que l’on a affaire à un VERITABLE ART D’EXISTENCE. ART DE VIVRE ET DE DONNER UN SENS A SA VIE.

Il s’agit d’un ensemble d’attitudes et de conduites langagières destinés à pratiquer et à cultiver la cohésion et l’entente.

Ces techniques font appel au bon sens, à l’affectivité, à l’humour et au sens de la solidarité.

Et leur valeur de bonne pratique est vérifiable dans le fait que ces usages sont performants c’est à dire qu’ils produisent un effet de sens qui entretient l’unité du groupe.

A- Le plus connu de ces usages, qui transcende l’espace familial quoique bien présent dans celui que décrit Fadel Dia, c’est la pratique de la Parenté à plaisanterie.

L’ auteur montre comment cette pratique humanise non seulement les rapports entre partenaires classiques à qui elle est dédiée mais également entre d’autres protagonistes moins attendus : son père et sa mère ; les enfants avec ceux de leurs frères qui se trouvent aussi être leurs cousins parce qu’ enfants de la cousine de leur père et coépouse de leur mère ; mieux cette pratique s’ étend aux rapports des enfants avec leur père et avec leur mère , en jouant subtilement sur le registre du cousinage entre Bosséabé et Yirlaabé , la fullanité de l’ un et la supposée toorodité de l’ autre.

B- Une des modalités de l’usage de ces savoirs faire – concerne le droit d’ainesse.

Celui- ci procède à la fois de la soumission et de l’affection.

Le lecteur découvrira dans le livre différentes illustrations de cette relation de séniorité faite de respect et de grande considération sentimentale.

L’une d’elles est un fait singulier que l’auteur relate en mettant en scène son grand -père maternel et le frère ainé de celui- ci, venu, au terme d’un long voyage fluvial, sommer son cadet de mettre ses enfants à l’école française, non sans préciser que la fréquentation de celle- ci ne peut entamer la foi et la pratique religieuse du musulman.

Une autre illustration met en scènes des femmes, sœurs ainées des oncles maternels de l’auteur.

Expériences qui constituent un démenti cinglant de certaines idées reçues sur la soumission inconditionnelle des femmes aux hommes dans la société traditionnelle.

C – Font partie également de ces technologies du vivre- ensemble des expressions intraduisibles de l’affection et de la tendresse.

Par exemple celles par lesquelles on accueille un être cher et ces autres qui consistent à affubler le prénom de celle ou de celui à qui l’on s’adresse d’un suffixe exprimant l’affection la plus forte qu’on puisse avoir pour un être humain.

La forme la plus complète de cette culture du vivre- ensemble est celle que le génie de la langue Pulaar appelle JOKKERE ENDHAM.

La solidarité, l’entre- aide et l’hospitalité en constituent les expressions les plus significatives.

Parmi les illustrations de ce jokkere endham que le lecteur trouvera dans ce livre deux me paraissent emblématiques.

La première est relative à la population vivante simultanément ou successivement dans la demeure familiale de l’auteur : frères et sœurs, cousins, neveux, intégrés, éduqués, instruits et mariés dans la famille.

La deuxième illustration dont le récit m’a été fait à la fois par mon père et par la mère de Fadel Dia est relative à la petite fille de deux- trois ans environ, convoyée en pirogue, envoyée, pour ne pas dire « donnée » ou « prêtée », à son homonyme, mère de deux garçons mais qui n’a pas eu de fille, grande amie de sa mère et épouse du frère ainé de son père qu’elle part trouver dans une autre localité où elle passera quelques années.

* Le lecteur découvrira également dans ce registre des techniques du vivre- ensemble une catégorie particulière, celle des alliances de différentes formes.

L’une des plus chargées de signification dans ce récit est celle du bambaado, griot généalogiste des Peuls, ami du père de Fadel, adulé et respecté dans la famille de ce dernier pour sa vaste culture et son art de vivre bien qu’appartenant à la caste des courtisans.

Cette revue des techniques du vivre- ensemble ne visait pas l’exhaustivité. Elle montre cependant qu’en dépit des vicissitudes de l’histoire et de l’irréductibilité de la conflictualité dans la vie des hommes, dans les sociétés africaines et notamment dans la monographie portant sur cette famille, le vivre – ensemble est un bien recherché, cultivé et supérieur à toutes les autres valeurs. Et voici quelques petites remarques pour terminer.

PREMIERE REMARQUE : les spécialistes en littérature trouveront dans cette œuvre, matière à l’un de leurs exercices préférés : l’étude comparée et les convergences entre cette autobiographie et l’Aventure ambiguë sur deux points :

Des personnages emblématiques présents dans les deux œuvres.

Et le débat sur la fréquentation de l’école étrangère pour les membres d’une société et d’une famille musulmane autour du motif contenu dans la double exhortation de la Grande Royale : « apprendre à lier le bois au bois pour construire des demeures encore plus solides » ; et « comment vaincre sans avoir raison »

La deuxième et dernière remarque est une invitation adressée aux membres et descendants de la famille maternelle de Fadel Dia, après lecture de son récit de vie.

D’une part pour un exercice de correspondance entre chaque « description définie » tenant lieu de nom propre et la personne ou la localité désignées.

Ce qui dans certains cas est relativement facile et dans d’autres exige un peu d’exégèse.

D’autre part cette invitation est un appel à la vigilance que je lance aux membres sa famille maternelle portant le double patronyme Diallo et Kane face aux pièges de ce grand bosséyaajo qui persifle avec délectation cette identité remarquable en l’assimilant à la perte de la qualité de Pulaagu consécutive à l’avènement de la révolution Toorodo dont ils ont été partis prenante.
Lui faire remarquer qu’être Toorodo et Pullo ne sont pas incompatibles, que cela peut même être du plus bel effet et qu’il en est justement la preuve vivante. Pour le reste le lecteur verra qu’aucune présentation ne peut épuiser la richesse de ce beau texte.

Je vous invite donc à déguster avec douceur et lenteur, comme il se doit, les belles pages de cette saga nostalgique et érudite.


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