DEUX MOTS SUR LA COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE AU SENEGAL

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    Parmi les nombreuses et séduisantes promesses du programme « Yoonu Yokkuté » de l’Alliance pour la République, figure en bonne place la couverture médicale universelle (Cmu), entrant dans le cadre de la protection sociale universelle et censée résoudre le problème de l’accessibilité financière aux soins des citoyens sénégalais. Nul doute qu’il faut se féliciter de cette volonté politique clairement manifestée par le nouveau pouvoir, laquelle constitue un préalable incontournable à l’édification patiente et méthodique d’un système de couverture maladie universelle qui, plus qu’une simple question budgétaire, s’avère être un processus extrêmement complexe, pouvant durer plusieurs années, intrinsèquement lié aux choix politiques et mêmes idéologiques, comme on a pu le constater, aux Etats Unis, avec la réforme de la santé d’Obama.

    Pour relever le faible niveau de couverture du risque maladie, les nouvelles autorités auront, en effet, fort à faire face au lourd héritage des politiques de dilapidation des ressources nationales et d’ajustement structurel des précédentes décennies. Il y a aussi la gravité de la situation sanitaire des populations, le plus souvent en rapport avec la pauvreté ambiante et la non-maitrise des déterminants sociaux de la santé. Enfin, on observe l’insuffisance et la mauvaise qualité des soins dans des structures sanitaires publiques délabrées, mal équipées, très peu pourvues en ressources humaines et de moins en moins accessibles à des usagers ayant un faible pouvoir d’achat. Autant dire que la mise en place d’une couverture maladie universelle nécessite la prise en compte de toutes ces contraintes.

UN FAIBLE TAUX DE COUVERTURE DU RISQUE MALADIE

    L’accessibilité financière des structures sanitaires demeure toujours problématique pour la majorité des Sénégalais, à fortiori pour les groupes vulnérables. La couverture du risque maladie et les dispositifs de prise en charge des indigents et des groupes vulnérables sont embryonnaires et dispersés entre différents acteurs.

    Il est indéniable que les agents de l’Etat ou des Collectivités locales, fonctionnaires ou non fonctionnaires font figure de privilégiés, dans la mesure où ils bénéficient de formules d’assurance-maladie, attachées à leurs statuts et pour lesquelles, aucune cotisation préalable n’est demandée (abstraction faite de la fiscalité sur les salaires). La délivrance des soins se fait par le biais d’imputations budgétaires, qui couvrent 80% des frais d’hospitalisation, de consultations, des examens et analyses effectués dans toutes les structures publiques et également dans les structures privées agréées.

Peuvent également être considérés comme relativement avantagés les étudiants bénéficiaires des œuvres universitaires, les salariés d’entreprises privées ayant plus de cent employés et les accidentés de la circulation à travers respectivement le Centre des Œuvres Universitaires, les services médicaux d’entreprises et la couverture du risque accident ( par les sociétés d’assurance ou le Fonds de Garantie Automobile).

    D’autres dispositifs d’exemption et d’assistance en faveur de couches sociales particulières, dites vulnérables, ont été mis en place, pour leur faciliter l’accès aux soins. Il s’agit notamment de la prise en charge des personnes âgées de plus de 60 ans avec le Plan Sésame, de l’assistance aux personnes atteintes d’affections particulières (tuberculose, lèpre, VIH/SIDA, diabète, cancers, cardiopathies…), allant de la gratuité des médicaments à celle des accouchements et césariennes dans les régions de l’intérieur et la banlieue de Dakar et enfin de l’aide aux indigents (certificat d’indigence, services sociaux des hôpitaux, cas sociaux des comités de santé, secours pour frais médicaux de la Direction de l’Action Sociale…etc.)

    Les Institutions de Prévoyance-Maladie (I.P.M.) entrent dans le cadre des régimes d’assurance à caractère obligatoire. Elles ont été créées par la loi 75-50 du 3 Avril 1975 au bénéfice des travailleurs du secteur privé et des membres de leurs familles. La création d’une I.P.M est obligatoire pour toute entreprise employant plus de 100 personnes; celles qui en emploient moins doivent se regrouper dans une I.P.M inter-entreprises ou adhérer à une I.P.M déjà autorisée. La Caisse de Sécurité Sociale prend en charge à 100% les consultations, les médicaments, les analyses, les interventions chirurgicales et toute intervention nécessaire en cas d’accidents de travail et de maladies professionnelles, dont sont victimes les travailleurs. En outre la caisse dispose de centres de protection maternelle et infantile qui fournissent aux assurés et non assurés les prestations suivantes : consultations pré et post natales; vaccinations; récupération nutritionnelle et planning familial. Seuls les employeurs cotisent pour ces prestations.

LUTTE CONTRE LA PAUVRETE ET LA MAL- GOUVERNANCE

    La protection sociale universelle n’a de chances de réussir que si elle est couplée à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. En effet, les populations sénégalaises endurent, dans leur grande majorité, une pauvreté et une précarité, qui accroissent leur vulnérabilité à cause d’un manque de revenus disponibles pour faire face à des dépenses sanitaires catastrophiques ou autres évènements sociaux. Ainsi, une grande majorité de la population (secteur informel, secteur rural, journaliers et catégories sociales vulnérables) n’est pas couverte par ces dispositifs formels et fait le plus souvent recours aux systèmes dits traditionnels de solidarité et/ou à l’assurance-maladie volontaire ou à d’autres systèmes de micro-assurance santé.

    Il importe également de lever les contraintes limitant l’efficacité des politiques publiques en faveur des pauvres par l’approfondissement de la décentralisation, le développement participatif et une gouvernance réellement vertueuse, qui constitue un préalable incontournable à l’équité en santé.

NECESSITE D’AGIR SUR LES DETERMINANTS SOCIAUX DE LA SANTE

    La mise en œuvre de ces programmes sanitaires intervient dans un contexte de demande sociale exacerbée, marquée par une insécurité alimentaire avérée, des défaillances fréquentes des réseaux d’approvisionnement en eau potable et en électricité, un système d’assainissement inexistant ou inadéquat, ainsi qu’une promiscuité favorisée par un mode d’habitat précaire. Ces conditions de vie catastrophiques, très répandues dans les zones rurales déshéritées, existent aussi dans les quartiers défavorisés de la capitale et les nombreux bidonvilles, dans lesquels habitent des centaines de milliers voire des millions de Sénégalais et ont une grande incidence sur leurs conditions sanitaires. Il y a donc une nécessité urgente d’agir sur les déterminants sociaux de la santé par l’amélioration de la disponibilité alimentaire des ménages, la préservation d’un cadre de vie décent, la lutte contre la dégradation de l’environnement, le développement des programmes appropriés d’éducation sanitaire et la mise en œuvre de politiques d’habitat social adéquates.

QUELS PREALABLES POUR LA COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE ?

Il s’agit, en premier lieu, d’améliorer le fonctionnement du système sanitaire national. Selon l’OMS, un système de santé qui fonctionne bien, se doit d’améliorer l’état de santé des personnes, des familles et des communautés en les protégeant contre les menaces pour leur santé et en atténuant les conséquences financières de la maladie,  par un accès équitable à des soins centrés sur la personne et l’implication pleine et entière des individus et des communautés aux décisions qui touchent à leur santé et au système de santé. Il va sans dire qu’une bonne organisation et un fonctionnement adéquat du système de santé sont des préalables nécessaires à la réussite de la couverture maladie universelle.

    Il s’agira, avant tout, d’assurer la disponibilité des ressources humaines compétentes dans toutes les structures de santé, en veillant à la satisfaction de leurs intérêts matériels et moraux. Il faudrait se départir de l’illusion populiste, consistant à vouloir faire le bonheur du peuple, en faisant abstraction des intérêts des travailleurs. Les préoccupations des usagers et des prestataires pourront être conciliés par la signature de contrats de performances entre organismes d’assurance santé et structures sanitaires. Il faudra également garantir une bonne accessibilité physique aux services de santé, en se rapprochant des normes de l’OMS pour ce qui est de la couverture en infrastructures sanitaires et en prenant en compte l’augmentation prévisible de la demande en soins induite par un meilleur accès aux services. Le relèvement des plateaux techniques, par la disponibilité des ressources matérielles de bonne qualité (équipements, médicaments, consommables…), dans toutes les structures de santé, est un impératif pour une qualité optimale des soins, en prenant en compte la sécurité des patients. Par ailleurs, l’offre de soins devrait être en adéquation avec la demande de soins, par le biais d’une carte sanitaire qui, sans distinguer le secteur public et le secteur privé, détermine les structures et les équipements nécessaires à la prise en charge des soins ainsi que leur localisation. L’opportunité et la continuité des services à tous les échelons de la pyramide sanitaire, ne pourront devenir une réalité tangible, que si les décideurs veillent à la pertinence du système d’orientation-recours, selon les échelons de la pyramide sanitaire, pour éviter l’engorgement injustifié des structures d’un certain niveau par des pathologies pouvant être prises en charge par le niveau inférieur.

    Il faudra, dans un deuxième temps, s’assurer que la volonté politique affirmée en faveur de la couverture maladie universelle soit sous-tendue par un engagement sans faille en faveur de l’équité en santé, ce qui peut aller jusqu’à l’instauration d’une discrimination positive en faveur des pauvres et des personnes défavorisées, qui rencontrent le plus de difficultés pour accéder aux services de santé. Cela devrait conduire les décideurs à privilégier les soins de santé primaires, à vocation principalement préventive, qui sont mis en œuvre par les districts sanitaires et auxquels on n’a pas encore pu trouver d’alternative crédible pour fournir des soins de santé de base à la population rurale, mais aussi aux couches déshéritées en zone urbaine. On ne peut, dès lors, qu’être préoccupé par la tendance de plus en plus marquée à la commercialisation des soins de santé doublée d’une nette propension des décideurs politiques à privilégier les soins curatifs spécialisés par la création intempestive et itérative d’hôpitaux de plus ou moins grande envergure, même s’il ne s’agit aucunement de sous-estimer l’importance croissante des affections non transmissibles, qui se trouvent très souvent être des maladies à soins coûteux et qui affectent de plus en plus, l’ensemble des couches sociales.

    C’est précisément pour amener le système sanitaire national à répondre de manière équilibrée, avec un bon rapport coût-efficacité à ces sollicitations diverses et parfois contradictoires, que les pouvoirs publics se doivent de jouer un rôle de régulation et d’adopter une gestion axée sur les résultats, qui recommande, à travers le Cadre de Dépenses Sectorielles à Moyen Terme (CDSMT), la mesure des résultats obtenus en fonction des ressources utilisées et l’évaluation des performances enregistrées dans le processus de production des biens et services de santé. Il faudra donc investir de manière judicieuse, pour que l’offre de services permette d’obtenir les résultats escomptés, surtout en direction de l’atteinte des OMD.

      Last but least, il faudra exercer un leadership sur l’ensemble du Secteur de la Santé, y compris sa composante privée, qui en privilégiant la logique du profit gêne considérablement aussi bien la résolution des problèmes de santé pour le plus grand nombre que l’atteinte des objectifs sociaux (en particulier l’équité), par un secteur public sévèrement handicapé par le manque de moyens. Il s’agira donc de restaurer un secteur public prédominant, digne de confiance, tout en permettant l’accompagnement par un secteur libéral, qui devra agir en interrelation avec le secteur précité afin de rendre sauf un accès équitable aux soins.

    De même, il faudra s’efforcer d’instaurer une bonne gouvernance sanitaire, par l’élaboration, dans le cadre de processus transparents et participatifs, d’un plan sanitaire national, qui détermine une orientation claire pour le secteur de la santé, en partant de nos réalités propres et non d’injonctions des Partenaires Techniques et Financiers, dans un souci constant du « rendre compte » (redevabilité) et d’adaptation à l’évolution des besoins.

    Concernant le financement de la Santé, on note des dysfonctionnements causés par l’absence de maîtrise par les autorités sanitaires des fonds de dotation logés au niveau des collectivités locales, les normes d’allocation budgétaire favorisant les grands hôpitaux nationaux urbains au détriment des réseaux de soins de proximité, les initiatives de gratuité insuffisamment élaborées, à l’origine de la faramineuse dette hospitalière.

    Les défaillances du système d’approvisionnement et de distribution des médicaments essentiels principalement au niveau de la Pharmacie Nationale d’Approvisionnement (PNA), affectent grandement la crédibilité et l’efficacité du système sanitaire, car compromettant l’accès à des médicaments essentiels, des outils de diagnostic abordables, ainsi qu’à des consommables (chirurgie, anesthésiques…), au grand dam des couches les plus modestes de notre pays.

    Enfin, l’atteinte des OMD relatifs à la santé ne pourra se faire que si l’on dispose d’informations de qualité sur les problèmes de santé grâce à un système national d’informations sanitaires performants.

CONCLUSIONS

    Au Sénégal, comme dans la plupart des pays africains, l’accès aux systèmes de sécurité sociale est réservé aux travailleurs du secteur formel (patronat, fonctionnaires, salariés des entreprises et autres), qui bénéficient d’un système de protection sociale de type assuranciel, c’est-à-dire basé sur un principe liant la distribution de prestations à la fiscalité ou au versement de cotisations préalables.

D’autre part, des initiatives d’exemption et d’assistance mises en œuvre en faveur de couches sociales particulières, dites vulnérables relèvent de la protection sociale ″assistancielle″, conduite par l’État (État central et communes, pour l’essentiel).

Autant la protection sociale assurancielle semble avoir été le fruit d’acquis arrachés, de haute lutte, par les syndicats de travailleurs, autant l’Assistance semble conduire les démunis, qui en bénéficient, à des formes de dépendance matérielle et morale, voire d’aliénation, dont ont abusé les classes dirigeantes de notre pays pour empêcher une remise en cause de leur domination sur les masses populaires, par le biais du clientélisme politique.

    Notre pays, réputé pour l’expertise de ses cadres, vit une crise multisectorielle, qui frappe, de plein fouet, les secteurs sociaux que sont l’Education et la Santé. La multiplication des fora, concertations ou assises venant s’ajouter aux innombrables mouvements d’humeur des syndicats de travailleurs ne semble pas pouvoir venir à bout des innombrables dysfonctionnements rencontrés dans ces secteurs. C’est pourquoi, tout en saluant cette nouvelle initiative que constituent les présentes Concertations Nationales sur la Santé et l’Action Sociale, on ne peut s’empêcher d’être dubitatif. Les craintes et réticences ne pourront être vaincues, que si les nouvelles autorités font preuve de courage et de détermination, pour opérer des ruptures radicales dans l’amélioration de la gouvernance sanitaire et le renforcement de la gestion axée sur les résultats. La promotion de la transparence dans la gestion des affaires publiques, la création d’un environnement favorable au développement des affaires (y compris, la réglementation des rapports entre les secteurs public et privé) et le respect de l’Etat de droit font partie intégrante du capital social, qui est un axe fondamental pour stimuler la croissance économique et réduire les inégalités.

    Il faut dire, qu’une bonne partie de ces préoccupations a été prise en charge par les conclusions des Assises Nationales, que les nouvelles autorités gagneraient à traduire davantage en actes concrets. Cela contribuera à rendre plus crédibles les plans et programmes initiés et facilitera leur appropriation par les cibles, auxquelles, ils sont destinés.

 

Dr Mohamed Lamine LY

Médina-Rasmission

http://www.nioxor.com/article-quels-prealables-pour-la-couverture-maladie-universelle-au-senegal-112236672.html

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