
La démocratie se fâcherait-elle comme un dieu chaque fois que les humains lassés ou endormis renoncent à lui apporter des sacrifices et des offrandes ? Serait-elle capable de brûler le royaume ou se limiterait-elle à les laisser seuls s’infliger des punitions mutuelles, avec la force de leurs moyens et les certitudes de leurs vices ?

Lassé par la lutte contre l’Empereur déchu dont la fin de règne chaotique a ébranlé le royaume, ou peut être tombé dans la béatitude du combattant qui se croyait autorisé une pause méritée, Goorgorlu a été surpris par « le réveil du lion qui dort ». Bien que véritable victime de règlement de compte entre « bandits lors du partage du butin », le Gladiateur a opportunément intégré les rangs des adversaires de son clan familial contre lequel il a retourné ses armes ; comme un voleur qui rejoint le rang des pisteurs. Parce que sa présence pouvait au moins affaiblir l’Empereur, il n’a été vu, ni comme une taupe ni comme un opportuniste s’accrochant au pouvoir quelle qu’en soit la couleur.

Contre toute attente promu Chef d’Etat Major des troupes ayant vaincu l’Empereur, l’inconnu masqué a dès l’entame de son mandat été perçu comme un bébé conçu dans la douleur que l’on refusait d’examiner de peur d’y déceler des signes traumatisants. Mais les monstres grandissent forcément, développent des caractères innés liés à leur espèce, et acquis en fonction de l’environnement dans lequel ils évoluent. Et naturellement le Gladiateur a grandi, avec des caractères favorisés par un environnement laxiste et/ou complice, et d’autres liés à son espèce encore politiquement et socialement controversée, malgré la rédaction d’un livre d’histoire ou plutôt d’un livre de son histoire, fait de petites histoires pas toujours fidèles à l’histoire.

L’humanité a déjà connu des exemples de dictatures installées par les citoyens, même si à leur décharge, il faut reconnaître qu’elles se soient présentées masquées ou qu’elles aient subies des mutations monstrueuses, rattrapées par l’exercice du pouvoir. Les dictatures s’installent également dans des périodes de relâchement politique, quand les citoyens croient la démocratie irréversible. Aujourd’hui, qu’on l’accepte ou non, Ndoumbélaan vit sous la dictature. Et le maquillage « républicain » de ses décisions n’ôte en rien le fait que le Gladiateur n’en fait malheureusement qu’à sa tête.

Pourtant, imaginer le Gladiateur comme un homme bête et méchant, mû par une soif personnelle d’oppression et/ou de vengeance (contre qui d’ailleurs ?), serait une grave erreur. S’il laisse croire qu’il serait prêt à marcher sur des cadavres pour que « force reste à la loi », il semble plus proche d’un instrument de groupes d’intérêt qui l’ont choisi, façonné, préparé et installé aux commandes du royaume, malgré l’orgueil national de Goorgorlu à en assumer la paternité. Ce qui intéresse ces groupes, ce n’est pas l’homme, mais le système qu’il est chargé de mettre en place, et dont la consolidation requiert du temps. Il est donc évident que ce n’est pas son amour pour Ndoumbélaan mais bien l’importance du temps dans la consolidation du système pour ses maitres qui amène le Gladiateur à mettre sa vie en jeu pour un second mandat (Manda-bii, jaral na ma dee ». « Eupeu teuleuw « !!!

Victimes de « saafara » dilués dans les eaux du lac, comme l’imaginent certains, ou de pilules toxiques enrobées dans de grosses liasses savamment administrées aux porteurs d’opinions, la potion magique du Gladiateur a manifestement affecté de larges couches du royaume. Resté trop longtemps sans se débattre contre l’évident piège qui se refermait sur lui, Ndoumbélaan vit aujourd’hui des heures sombres, sans trop savoir s’il s’agit de l’aube ou du crépuscule d’une ère d’incertitudes. La bataille va sans doute changer de paradigme, car la question n’est plus de lutter contre l’instauration d’une dictature mais bien de la combattre. « Drôle », de « tranchées » ou dite « froide », le royaume est déjà en état de guerre, parce que ce climat de menaces et de défis, n’a rien de celui d’une paix.

Ce serait un miracle que les condamnés à mort politiques, ayant longtemps résisté au poison du Gladiateur survivent à la décision du conseil constitutionnel que l’on peut interpréter comme le coup de grâce. Mais puisque la politique a le pouvoir de ressusciter ses morts, la fin de cette longue bataille, n’est peut être qu’un chapitre d’une guerre qui promet d’être épique. Les héritiers vont-ils se résoudre à enterrer leurs morts et leurs ambitions politiques, ou prendront-ils le chemin du maquis pour une vendetta à l’issue incertaine ? Les jours à venir nous édifieront, même si on peut parier que désormais, rien ne sera plus comme avant.
Les chroniques de Bandia, Janvier 2019