La brusque remontée du terrorisme en France a surpris les combattants qui savouraient une pause méritée après les violentes tempêtes jihadistes au Sahel. Comme une patrouille tombée dans une embuscade, la riposte a été désordonnée, les cibles quelconques et les cris de guerre confus. Sans oser parler d’accalmie, il est juste de penser que la pause même éphémère, devrait être mise à profit pour reprendre les esprits, identifier l’origine des tirs, distinguer les amis des ennemis pour mieux orienter la riposte.
A Ndoumbélane le débat focalisé autour de la présence justifiée ou non du Gladiateur à Paris a cruellement appauvri les échanges. Le politique a certainement cherché à enrôler le sentiment religieux pour atteindre et affaiblir le Gladiateur pour des raisons évidentes.
Pour l’avoir dit implicitement ou subtilement tu, l’impérialisme français a en effet créé une ligne de démarcation au-delà de laquelle on est Charlie et anti terroriste ou contre Charlie et terroriste. Et quelles que soient par ailleurs les professions de foi pour calmer les esprits, il reste que derrière le concept terroriste plane une connotation anti islam, raciste et xénophobe envers tout ce qui est d’origine non européenne, de culture non judéo-chrétienne.
N’est-il pas temps de recentrer le débat autour d’une ligne de démarcation plus objective parce que la question aujourd’hui posée, ce n’est pas la défense de Charlie en tant que simple organe de presse partisan, mais bien la ligne de démarcation entre le bien et le mal, préfabriquée et imposée par l’impérialisme français et que Charlie prétend symboliser.
Ce n’est pas la première fois que l’occident mobilise, roule et enrôle le monde autour de la défense de ses convictions intimes et de ses pratiques qu’elle tente d’ériger comme valeurs universelles. C’est inacceptable, et les autres peuples ne le laisseront pas faire.
Comme tous les démocrates nous condamnons la violence comme moyens de gestion des conflits y compris la violence verbale, la violence culturelle et la violence religieuse. Nous avons condamné la Shoa sans être juifs, nous avons combattu l’Apartheid sans être racistes, nous nous sommes dressés contre les pratiques du sionisme sans être anti sémites. Nous condamnons le fanatisme religieux aussi, sans être des athées ou des mécréants.
Pourquoi et comment Ndoumbélaan dont les défis et les priorités sont vraiment ailleurs s’est-il retrouvé brusquement au centre de la polémique ? Peut être a-t-il été piégé pour des raisons historiques, politiques et économiques en abordant mal la ligne de démarcation imposée par l’impérialisme français. En dissertant sur le thème tel que posé par l’ancienne nouvelle métropole, il a laissé germer une fracture affective générant un conflit sans objet parce qu’axé sur un postulat en dehors du vrai champ de bataille idéologique, politique et culturel. Nous serions lâches si nous ne condamnions pas les massacres quotidiens des fanatiques prétendument agissant au nom de Dieu. Ce serait ignoble que nos héros s’identifient aux poseurs de bombes dans les marchés, les écoles, les églises et les mosquées. En même temps, nous aurions certainement trahi la pensée des prophètes en qui nous croyons en acceptant qu’ils se fassent traiter comme des guignols pour divertir des hommes et des femmes en mal de repère. Il est donc aberrant de nous imposer l’alternative « pour Charlie et contre le terrorisme ou contre Charlie et pour le terrorisme ». Et si une loi permet de tels faits, nous devons combattre cette loi pour ne pas enfanter des hors-la-loi désespérés et coupables devant l’histoire. Parce que le désespoir d’un homme ne va pas au-delà de son incapacité à agir contre un mal qui l’affecte, et la tentation est grande si ce mal est institutionnel, s’il est le fait d’hommes et de femmes en chair et en os.
Sans mériter ce qui leur arrive, La France et l’Occident sont coupables et ceci à plusieurs titres. Ils ont fabriqué et financé le terrorisme en lui donnant armes et Euros en échanges d’otages pour des raisons bassement électoralistes. Ils ont contraint des Etats faibles à libérer des monstres pourtant capturés et mis hors d’état de nuire. Ils ont assassiné Kadhafi et mis en place « leurs démocrates », permis l’exode massif des empêcheurs de tourner en rond en les canalisant vers des zones considérées comme économiquement sans intérêt pour eux, avec armes et bagages. Ils ont donné le gite et le couvert aux séparatistes dits minorités « entièrement à part » au nom des droits de l’homme, défendu leurs causes à coups d’euros et de manchettes médiatiques. Ils ont comme le dit si bien le chanteur ivoirien Alpha Blondy, mis le feu pour jouer aux sapeurs pompiers.
C’est bien cette France coupable qui a appelé au secours et touché la corde sensible d’une poignée de chefs d’états qui lui étaient redevables. En les confondant dans un faux débat qui ne va certainement pas manquer de laisser des traces indélébiles pour nos faibles démocraties, elle n’a pas pour autant cherché à les mettre à l’aise. Si à Ndoumbélaan, la contradiction se limite du moins pour le moment à de simples empoignades verbales, elle a déjà engendré ailleurs, des dizaines de morts et de blessés, des fractures sanglantes entre des communautés, victimes collatérales sans le savoir d’une bombe à fragmentation venue d’ailleurs où elle se nomme « la liberté de la presse ».
En dehors des atypiques héritiers des dictatures dynastiques plus que trentenaires sur le continent, le Gladiateur fait partie parmi les présents, des chefs d’états directement impliqués ou menacés par l’hydre terroriste au Sahel. Il est à ce titre redevable à une France qui, quelles que soient par ailleurs ses véritables motivations, a volé à leur secours quand tout semblait compromis. Responsable d’une nation ayant traditionnellement volé au secours de la France chaque fois que de besoin, le Gladiateur a été mis devant ses responsabilités historiques qu’il a assumées. A tort ou à raison ? L’histoire le dira. Mais qui aujourd’hui parmi ses détracteurs politiques actuels ne serait pas allé épauler un allié blessé même si on peut lui reprocher d’avoir créé lui-même, les conditions de ses difficultés ?
Le véritable péché du Gladiateur réside essentiellement dans la communication. Il a cru qu’il suffisait de contenter la France le matin et de venir dormir le soir à Ndoumbélaan comme si de rien était. Il était convaincu ou s’est laissé convaincre qu’il pouvait déjeuner avec des pommes de terre frites dans un restaurant des Champs Elysées et diner son « cere mboum » à Colobane sans dommage. C’est une erreur tragique ! C’est justement en ces moments troubles où les repères se brouillent, qu’un chef d’état a l’obligation de lever la voix pour rassurer et mobiliser son peuple. Rassurer autour de ses valeurs fondamentales, et mobiliser les ressources disponibles et potentielles pour se mettre en position de combat. Parce que la menace plane manifestement au-dessus de nos têtes. Héritier d’une situation historique et diplomatique qu’il ne remet pas en cause, il se doit d’assumer sa position d’Homme d’Etat au lieu de vaciller au gré des commentaires de Sandaga comme une flamme de bougie sous une tempête.
Rappelons-nous, le Président-poète-néocolonial, qui n’était pas du tout un modèle de combattant anti impérialiste avait refusé de rompre les relations diplomatiques avec Israël en 1973, se dressant ainsi contre l’avis de ses pairs africains et de la Ligue Arabe en pleine guerre du Kippour. Président chrétien d’une république musulmane à 90 %, il avait motivé sa position par un discours fort. Ndoumbélaan qui présidera deux ans plus tard le Comité pour l’Exercice des Droits inaliénables du Peuple Palestinien voulait qu’on différenciât la condamnation de l’hégémonie impériale de l’état hébreu avec toutes les souffrances imposées au peuple de Palestine, du mot d’ordre extrémiste qui demandait l’anéantissement pur et simple de l’état d’Israël. Le Gladiateur n’a certainement pas fait pire en défilant à Paris ce 11 janvier, mais il n’a pas su communiquer, se contentant de répondre à des journalistes et à des déclarations pour se justifier comme le ferait un enfant pris en faute.
Face au silence coupable de l’intelligentsia de Ndoumbélaan, à son incapacité et ou à son impuissance à dompter un débat à la fois subtile et belliqueux, les politiques se sont accaparés du sujet et dramatiquement à travers la ligne imposée par l’impérialisme français parce que cette ligne satanique leur permet de porter des coups à leur adversaire du moment : le Gladiateur. Les politiques ne mènent et à juste titre que des combats conjoncturels. L’essentiel étant d’atteindre des objectifs à court et à moyen terme qu’ils se sont assignés même s’ils doivent plus tard dire « maa ko waxoon, waxeet ».
Le débat de fond est pourtant structurel et nous ramène à trancher pour nous et pour les générations futures entre deux positions antagoniques. Contraindre les religieux à accepter la profanation de leurs symboles ou convaincre les clowns à se tourner vers d’autres sujets moins sensibles si leur métier est de faire rire.
BANDIA, JANVIER 2015
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