LIGNES DE FRONT PAR BANDIA

Par Bassirou Sélémane Ndiaye, invité de la rédaction

La dialectique implacable de l’évolution a sonné le glas d’un régime moribond, certainement un des derniers avatars du néocolonialisme sur le continent. A côté des pratiques économiques scandaleuses, ce qui a révulsé les populations, c’est surtout l’acceptation sans état d’âme d’un renégat, à se soumettre et à livrer son peuple aux appétits du capital étranger. Autant le Gladiateur pouvait être arrogant vis-à-vis de son peuple et de ses institutions, autant il se montrait docile au service de l’occident et de la France en particulier. « Ses » infrastructures surdimensionnées et surfacturées côtoyant la misère de populations à l’abandon, n’avaient pour objectif que la promotion de la mainmise occidentale sur l’économie nationale et une prolongation de son bail à la tête de l’état.

Les derniers jours d’une dynastie.

La majorité des goorgorlus avait renié le Gladiateur. Elle avait condamné sa façon de gouverner, souffert de son arrogance, regretté la disqualification des mœurs politiques et même des valeurs morales tout court. Cette évidence, les citoyens l’avaient exprimé en public et ruminé dans leur intimité. Beaucoup de révoltes et de révolutions sociales n’ont été que le rejet de trop-plein, dû à une bêtise de trop, d’un idiot de trop, qui se croyait trop permis. « Ce n’est pas le poison mais bien la dose qui tue ».

Trop de faits réels ou supposés, concourent à réconforter ceux qui soutiennent qu’au championnat du monde des états à scandales, Ndoumbélaan joue sans complexe, les premiers rôles depuis l’avènement du Gladiateur. Mais comment le dire en démocratie ? Et surtout comment le traduire ? Par les urnes ou à défaut par la rue, parce que les instances de dialogue démocratique ont vu pendant cette période leur côte de crédibilité fortement écorchée. Mais le Gladiateur n’a jamais autorisé une manifestation publique porteuse de succès populaire. Politicien rusé et sans état d’âme, il s’est soit opposé par la violence, ou a tenu la bride aux potentiels manifestants, le temps de dégonfler les ardeurs, de rendre fade la sauce ou de la tiédir avant qu’elle ne soit servie.

Il restait donc les urnes. Mais le ras-le-bol était tellement manifeste, que le Gladiateur ou son « candidat », était quasi certain d’être laminé dans n’importe quel scrutin. Il a tenté d’obtenir un temps-mort, au forceps bien sûr. Il a réussi à interrompre le jeu et retarder le verdict :

  •  En fouillant sans pudeur dans l’intimité de la constitution, avec la complicité d’une assistance technique de méninges bien placées ;
  • En initiant un combat de coqs entre les institutions déclarées en conflit par décret ; 
  • En usant de muscles kaki rassasiés de ses grâces pour mâter du Goorgorlu ou encadrer et assurer l’impunité de marginaux en quête de reconnaissance sociale.

A propos du « système ».

Le croyant se soumet à un ensemble de règles sensées le conduire vers un monde virtuel ou réel conceptualisé, qu’il s’imagine le meilleur. Le naufragé s’accroche à tout pour regagner la rive, le monde vers lequel il se dirige n’étant pas forcément un idéal, mais un espace de salut par rapport à un monde de menaces. Or, « Le système » incarné par Le Gladiateur et ses alliés avait fini par être appréhendé comme un environnement plein de périls obligeant le citoyen à mobiliser toute son énergie pour s’en échapper. Pour une bonne frange de la société, et malgré un attachement presque fusionnel avec ses dirigeants, le « Projet » passerait comme un instrument, une sorte de bouée de sauvetage pour échapper à un monde plein de périls, qu’une alternative conceptualisée et choisie. La victoire électorale sur le système en devient dans ce contexte, un essai qu’il s’agit maintenant de transformer.

Le jour d’après :

Quels que soient ses actes et son discours, la coalition défaite ne pense pas encore à la reconquête du pouvoir à court ou à moyen terme. Puisqu’il est encore inopportun de défendre un bilan rejeté et condamné par une large majorité, le discours sera pendant longtemps centré sur la probité individuelle. C’est peut-être pourquoi, certains essayent de se faire bonne conscience en retournant à leurs occupations professionnelles antérieures, pareils à d’honnêtes fonctionnaires rejoignant un lieu d’affectation après de bons et loyaux services, comme s’ils n’avaient jamais commis de fautes ailleurs. Ils apprendront vite à leurs dépens que le refuge professionnel peut être une cuirasse, mais pas toujours suffisamment blindée pour protéger les auteurs de crimes et délits.

Manifestement, la grande coalition a rendu son dernier souffle, condamnée par la perte des intérêts qui justifiaient son groupement. Après avoir festoyé durant de longues et douloureuses années, ses composantes pensent d’abord à une survie individuelle des collectifs qui la composaient et personnelle à l’intérieur de ces collectifs. Même si rien ne s’y oppose légalement, elle n’a pour l’instant ni les moyens ni la légitimité de passer à l’offensive. L’idée d’unir ses forces peut être agitée, mais la responsabilité individuelle des délits et crimes rend certains négativement chargés, donc moins fréquentables que d’autres. Autant dire que son objectif actuel, ne saurait aller au-delà d’une guerre de tranchées à partir desquelles elle effectuera des opérations subversives. Pour éviter de se mouiller, elle compte sur une armée de marginaux camouflée derrière des bunkers financiers, des tireurs isolés confortablement logés dans des médias qu’elle a bâtis ou qu’elle soutient à coups de milliards soustraits au trésor public.

Jusqu’ici, le camp du changement manifeste une grande sérénité, se limitant à exposer les conséquences de leur gestion collective et les solutions pour atténuer les souffrances, sans faire référence aux auteurs individuels pourtant bien identifiés. Le malaise perceptible viendrait en partie du silence ou en tout cas de l’absence de jugement de valeur sur la gestion antérieure, laissée apparemment à la justice. C’est une période nécessaire pour identifier les victimes politiques, économiques et sociales, arrêter les hémorragies. Mais la guerre de tranchées est une guerre de nerfs où ceux qui ont perdu l’initiative ne manqueront pas de craquer. C’est peut-être ce qui expliquerait les joutes dans les médias pour justifier des actes ou se justifier, plus adressées à l’opinion qu’aux tribunaux chargés de dire le droit. Et les tribunaux le diront. Ils diront qui a volé, qui a torturé, qui a encouragé le mensonge et les délations, qui a permis aux renégats de spolier les ressources, de brader les richesses de la nation. Les verdicts attendus ne seront pourtant qu’un front de la guerre, presque un épiphénomène à côté de la nécessaire bataille pour la restructuration politique et économique du pays.

LES CHRONIQUES DE BANDIA, MAI 2024

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